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L’amour parental

POURQUOI L’AMOUR NE SUFFIT PAS ?
CE QUE VEUT DIRE AIMER SON ENFANT ?
Nous savons tous que l’enfant n’est pas apte à vivre avec ses semblables dès qu’il voit le jour. Une éducation susceptible de lui enseigner les règles de la vie afin qu’il les fasse sienne peu à peu, reste le support essentiel de sa construction.
Ces apports vont le civiliser, le rendre créatif, lui permettre aussi de découvrir les joies de l’existence. C’est pourquoi aimer son enfant ne suffit pas, l’éducatif lui permettra ô combien, de découvrir les limites, les siennes et celles des autres afin qu’il s’adapte au monde environnant, dans le respect des règles valables pour tous. Le plaisir de vivre ne passe pas avant tout le reste… au point de couper l’enfant de la réalité. Mais, il s’agira davantage d’entendre le désir légitime de l’enfant en y mettant bien sûr des limites, car tous ses désirs ne sont pas réalisables. Nous constatons aujourd’hui, dans ce sens, un recul de l’éducation qui favorise la montée de la délinquance. Il s’agira donc pour aider à construire son enfant de ne pas se limiter à éprouver de l’affection, c’est pourquoi nous pouvons l’affirmer : l’amour ne suffit pas !

Claude Halmos, psychanalyste, commence son livre par ce témoignage d’une mère entendue à la télévision suite au suicide de son fils, celle-ci disait sa douleur pour conclure par ces mots qui ressemblaient à un cri :

On nous dit de les aimer. On nous dit de les aimer. Mais ça ne suffit pas, l’amour !
C’est ainsi qu’elle a intitulé son livre : “Pourquoi l’amour ne suffit pas” qu’elle va dédier aux parents en quête de réponses.
Claude Halmos, disciple de Françoise Dolto, comme elle, familière des médias, n’y joue pas les gourous. Si elle donne également une place à l’enfant, elle ne lui donne pas toute la place. Comme Françoise Dolto dont sa pensée sur l’enfant était révolutionnaire, souvent mal comprise voire caricaturée, elle considère que l’enfant est une personne et sa parole a une valeur. Avant elle, il était supposé avoir des petites idées, des petits chagrins, des petites joies à l’image de sa petite taille. Notez bien que si sa parole a autant de valeur que celle d’un adulte, en aucun cas il est un adulte. Réhabiliter la souffrance de l’enfant dans chaque personne qui l’écoutait, en rendant celle-ci légitime, c’est cet effet de vérité qui a fait le succès de Dolto, et suscité, en miroir, la haine que l’on sait.
Déjà, en 1981, dans son livre : “La difficulté de vivre” dans le chapitre La mère et l’enfant, elle parlait de l’enfant fétiche comme nouveau produit de notre civilisation, consommateur ou consommé, en dénonçant ce qui est en cours : “L’ère de l’enfant au poids”.

Pourquoi affirmons-nous que l’essentiel pour un enfant, c’est l’amour ?

Ce n’est pas seulement la raison qui nous dicte ce besoin fondamental d’amour, c’est aussi l’adulte qui sans le savoir parle de lui-même, en nostalgie d’une tendresse reçue dont il connaît tout le prix, ou encore éprouvé dans la douleur indéracinable d’en avoir, jadis, ressenti le manque. Nous ne sommes jamais neutres dès lors que nous parlons d’enfance, l’histoire personnelle très influente, en partie devenue inconsciente reste déterminante. Nous devenons ainsi en toute bonne foi, ignorants par notre pensée de soutenir des discussions qui prétendront que l’enfant s’élève … “à l’amour”, postulat repris par toute la société elle-même, gagnée par cette croyance en l’amour comme nourriture essentielle de l’enfant.
Plus d’un siècle de pratique analytique auprès d’adultes et d’enfants ont prouvé et mis en lumière l’existence d’une construction psychique et sa complexité de sujet. En effet, “aucun enfant ne vient au monde avec un psychisme constitué”, un enfant se construit avec son entourage familier qui joue un rôle déterminant, comme nous le constatons dans chaque histoire revisitée car dégagée du refoulement, une histoire retraversée, sur un divan ou dans des séances thérapeutiques avec des enfants petits ou grands en réelles difficultés.
Entendons-nous véritablement ce que nous devrions entendre de nos propres enfants qui auraient besoin d’être entendus, écoutés, tout en les aimant ? Comment réussir à se situer par rapport à leur autonomie, à leur sexualité, à leur désir ? Rattrapés eux-mêmes par leur propre histoire singulière, les parents peuvent faire souffrir leur propre enfant sans en être le moins du monde conscients. On traumatise par le silence, on traumatise par le non-dit beaucoup plus que par le dit parfois. Entre le non-dit et le dit, même d’une chose gravissime, il vaut mieux dire la chose gravissime. Et la chose qui va peut-être faire énormément de peine à l’enfant, il faut tout de même, la lui dire comme nous le rappelle F. Dolto, dans la difficulté de vivre.
Une des grandes difficultés pour les parents du comment “parler à l’enfant” semble être celle d’avoir toujours à tenir compte du fait que l’enfant qu’ils ont devant eux, réveille l’enfant du même âge qui sommeille en eux sous les décombres de ses déceptions et de ses souffrances refoulées.
Aujourd’hui, les jeunes parents bénéficient d’aide à la parentalité par des psys convoqués dans tous les médias,
par de nombreux ouvrages de vulgarisation, etc, mais notre société se conduit en fait de façon paradoxale, car si en appelant les parents à bien faire “leur métier” , elle fonctionnerait comme si l’amour était le seul critère à prendre en compte dans la relation des pères et mères à leurs enfants. Ce clivage nous interroge et pose question.

L’amour est-il toujours là ?

Chacun est persuadé que l’amour vient aux parents en même temps qu’à l’enfant; qu’il naît dans leur cœur comme un réflexe animalier de la femelle qui vient de lécher son petit naissant.

L’amour est-il toujours bon ?

Une deuxième croyance semble insinuer que cet amour considéré comme toujours là, serait à l’instar du lait maternel, toujours bon pour l’enfant. De quelle nature est en fait le lien qui unit les parents à l’enfant, ou dit autrement comment l’aiment-il ? Question rarement posée ! c’est un fait que la dimension qualitative est rarement pensée.
On parle de parents qui aiment mal leur enfant, c’est-à-dire l’aimer trop, ou l’aimer de façon que la morale réprouve, le père incestueux par exemple, se trouve renvoyer dans le camp des mauvais parents. L’amour parental ou ce que l’on croit tel, serait globalement par nature forcément bon pour l’enfant. Toujours là donc et forcément bon.

Ces deux croyances sont démenties par la pratique analytique

Nous l’avons dit l’amour parental n’est pas une donnée naturelle, contrairement aux animaux, il n’est pas programmé par l’instinct, il est une affaire de parole et de désir qui peut être bloquée par l’histoire personnelle.
En effet, l’amour n’est pas toujours là. Il est des parents qui ne peuvent pas aimer leurs enfants, et, contrairement à ce que l’on pourrait nous faire croire, ils ne sont pas pour autant des monstres que la nature aurait privé d’un organe essentiel, cet amour chez les humains n’est pas naturel.
Comment donner ce que l’on n’a pas soi-même reçu ?
Donner de l’amour à ses enfants implique que l’on en ait en soi. Ce n’est possible qu’à deux conditions : si l’on a été enfant, aimé par ses propres parents ou si, quand ce n’est pas le cas, on a pu, dans son trajet personnel prendre conscience de ce manque, (je ne serai jamais comme ma mère, je ne ferai jamais comme mon père…).
La conscience du manque ne remplace pas l’amour manquant, mais elle permet de donner des contours à l’absence. Se découvrir manquant est toujours douloureux, d’où l’importance de dessiner en creux cette place vide comme matrice de l’amour, une fois que le manque est non seulement repéré mais symbolisé par des expressions diverses et créatives.
Sans cette prise de conscience, dans un souci d’oubli, afin d’éviter le vide, le parent manquant d’amour va banaliser son histoire par un “Rien à dire, c’était comme tout le monde…”. Certains n’arrivent pas “penser” cet univers déshumanisant, et c’est au prix d’une destruction intérieure qu’ils vont “s’adapter”. Très tôt, anesthésiés pour éviter de mourir ou de tomber dans la folie, ces adultes qui n’ont pu s’humaniser deviennent comme des pierres et les pierres ne peuvent pas aimer. Devenir une mère fonctionnelle, par exemple : élever son petit dans l’hygiène, l’éduquer correctement, c’est normal, sans pourvoir ressentir autre chose puisque sa propre mère était aussi comme ça avec elle. C’est ce que nous entendons dans le secret d’un cabinet d’analyste, quand le parent a choisi de s’interroger sur sa propre souffrance devenue insupportable et sans cause toujours évidente car bien enfouie dans la loi du devoir.
Un exemple clinique : “Avec mon premier enfant, j’ai été inhumaine. A aucun moment, je ne l’ai frappé, bien sûr, et je l’ai toujours soigné et nourri comme il le fallait. Mais je ne lui parlais pas et, face à lui, je ne ressentais rien. Je n’avais qu’une seule idée en tête : il fallait qu’il soit correctement éduqué (propre, pas capricieux, etc.). Je n’ai jamais pu imaginer ce qu’il pouvait ressentir ni même qu’il pouvait ressentir quelque chose. J’étais fonctionnelle, c’est tout.” (1)

L’amour n’est pas toujours bon :

Même si l’on utilise le même vocable pour aimer le chocolat et son enfant, celui-ci n’est pas son objet, dont on tire seulement de la satisfaction. Cet amour parfois possessif, par exemple, cette mère éprouvant à loisir sur lui un pouvoir que la vie par ailleurs lui refuse peut affirmer que celui-ci “c’est à moi, j’en fais ce que je veux, on ne me le prendra pas !”. S’agit-il alors de désespoir ou de jouissance maternelle ?
Une autre manière d’aimer son enfant juste en fonction de soi-même, serait de ne pouvoir l’aimer que de façon érotisée, sexualisée, parce que c’est la seule forme d’amour que certains parents connaissent. Ils ont vécu avec leur propres parents dans un tel désert de sentiments, qu’ils n’ont découvert un semblant de tendresse que dans leur vie sexuelle adulte.
C’est en écoutant les familles en difficultés que l’on prend la dimension des rapports parents-enfants, que la société nous présente de façon angélique et idyllique , alors que sur le terrain nous constatons que c’est une vision très éloignée de la réalité.

Quelles différences peut-on faire entre l’amour parental et l’amour en général ?

L’amour entre parents et enfants ne se limite pas au plaisir donné et reçu dans la chaleur et la tendresse. Les parents ont en effet un “devoir d’éducation” à accomplir, autrement dit une tâche. Lui enseigner le monde et ses lois, avoir un projet de vie, le soutenir dans ses études, se préoccuper de sa vie sociale et de ce qu’il ressent, fait partie de cette conscience d’avoir à accomplir une responsabilité, en accompagnant son enfant pas seulement en lui disant qu’on l’aime. Dans les moments tumultueux, oser poser des actes et des limites quitte à faire souffrir son enfant, soumis comme tout à chacun aux frustrations, privations, castrations de la vie est une nécessité. La première différence s’arrête là, dans la responsabilité de donner du temps, des moyens et des possibilités à celui-ci, afin qu’il s’adapte au monde qu’il va petit à petit intégrer, au nom de cet amour d’être le fils ou la fille de… en recevant la bonne autorité parentale. C’est en effet tout un travail, un soin apporté chaque jour, au petit sujet en développement et construction psychique qui s’accompliront sur sept années afin d’obtenir sa maturité, l’âge de raison.

Un autre critère à prendre en compte pour définir l’amour en général est celui de la possession. Il est sécurisant pour l’enfant de savoir et de sentir que ses parents lui appartiennent mais aussi qu’il a des parents “à lui tout seul”. Savoir qu’il a des parents “à lui” lui ouvre la possibilité de se sentir “lui”, un être particulier, différent des autres, pour fonder ainsi sa certitude d’avoir une identité propre, souvent induite dans son prénom.
De même que le sentiment d’appartenir à ses parents, “je suis leur enfant”, lui donne un sentiment de sécurité. En retour, avoir un sentiment de possession de leur propre enfant, est important pour les parents qui se reconnaissent comme tels, sans tomber dans un rapport d’ l’hyper dépendance avec celui-ci. Si les parents se conduisent avec lui en “propriétaires”, l’enfant risque ou bien de s’aliéner à eux, et abdiquant tout désir propre, accepter d’être leur objet, ou alors il sera tenter de leur résister. Des symptômes physiques et psychiques pourront l’hypothéquer sur son chemin d’avenir. La possessivité dans le rapport parents-enfants est toujours destructrice, car elle amplifie l’écart de pouvoir qui existe entre eux. Nous ne pouvons là encore ne pas parler d’amour, car vouloir garder son enfant pour soi est-ce véritablement l’aimer ?
Aimer son enfant, en effet, c’est lui apporter en permanence paroles, amour, aide et tendresse. Non pas le garder pour soi. Mais pour le rendre au contraire capable de vivre, chaque jour un peu plus, loin de soi, ailleurs. Réussir donc à se rendre de moins en moins indispensable, à la fois sur le plan matériel, en l’encourageant à l’autonomie, et sur celui des sentiments. L’aider à se détacher de soi, passera par l’idée qu’il va s’attacher à d’autres, lui ouvrant ainsi les portes sur le monde, en renonçant à l’exclusivité de son affection.
L’enfant, bien entendu, continuera en grandissant, si tout va bien, à aimer ses parents. Il ne cesse jamais de leur donner dans son cœur, sa tête et sa vie, une place essentielle. Mais, même si elle reste à tout jamais particulière, elle ne sera plus jamais la première et plus jamais la seule.

Gustav Klimt mère et enfant

L’amour parental, un amour si différent des autres amours :

Comment ne pas entendre dès lors, que l’amour véritable entre parents et enfants est, de par sa nature même, un amour radicalement différent de tous les autres puisqu’il est le seul qui consiste pour “l’aimant” (le parent) à aimer son objet (l’enfant) que non seulement il ne possèdera jamais totalement (ni son corps, barré par l’interdit de l’inceste , ni son esprit qui doit trouver ses propres voies) mais qui lui appartiendra, au fil du temps, chaque jour un peu moins.

Comment ne pas entendre que, alors que dans les autres amours, l’aimant travaille (en tout légitimité) à garder son objet, dans l’amour parental, le parent, au contraire, travaille à le perdre (puisque l’amour qu’il lui donne est le viatique qui lui permettra de partir)? En effet, le parent qui arrive en consultation est souvent tiraillé entre deux dangers : en faire trop ou pas assez. Comment réussir à faire en permanence coïncider attachement et détachement ?
Comment trouver du bonheur dans sa non possession alors que dans les autres amours, nous jouissons d’une certaine forme de possession. Ce sera une mutation forcément difficile, un travail psychique considérable du parent qui devra lâcher son enfant alors qu’il lui a donné vie et soins réguliers. Ne pas jouir de la possession de l’enfant – lui donner la liberté de vivre – suppose que le parent puisse trouver, dans sa relation à lui, une autre forme de satisfaction.

Que signifie le don et la transmission dans une famille ?

Personne ne peut en effet donner sans contrepartie. Pour dérangeant qu’en soit le constat, l’expérience prouve que, chez les humains, celui qui donne ne se dépouille qu’en apparence, car, du don qu’il fait, il reçoit toujours en retour quelque
chose : du pouvoir sur celui auquel il donne, une image de bienfaiteur qui le narcissise, etc. C’est pour lui une nécessité. De ce fait quand par malheur, il ne peut de part son histoire, tirer de son oblativité aucun bénéfice de ce type, il ne lui reste qu’une solution pour trouver une compensation : la tirer de la frustration elle-même, l’obtenir sous la forme d’une jouissance masochiste, d’une jouissance de la privation.
Dans les propos ça ce traduit par : “je me sacrifie pour toi…Sors avec tes copains, ça fait rien nous resterons seuls…”. C’est une position ravageuse pour le parent dont elle ruine la vie, et pour l’enfant qui en devient l’otage. Ces parents écrasés par le poids de la culpabilité et d’une dette imaginaire envers leurs propres géniteurs n’ont jamais eu la chance de rencontrer un adulte, capable de leur expliquer que, entre parents et enfants, le don est normal, que recevoir ne relève pour un enfant d’aucun privilège exorbitant mais des lois du monde. Ceux-ci s’imaginent avoir été la cause du sacrifice, quand ce n’est pas du martyre, de leurs parents.

Comment éviter cet écueil ?

A cette question l’expérience psychanalytique donne les moyens de répondre. Pour que l’opération soit possible, il faut que le parent puisse trouver une satisfaction profonde et vraie dans deux choses : le don et la transmission.
Autrement dit, qu’il puisse éprouver le bonheur de donner, sans attendre d’autre retour que le spectacle de l’épanouissement de l’enfant auquel il donne. Et à transmettre, non seulement pour le temps où il est encore là mais pour celui, également, où il ne sera plus là. Il faut donc que le parent puisse éprouver à l’idée d’être la source du développement de son enfant, une joie réelle et en tirer pour lui-même une satisfaction narcissique. Satisfaction qui s’apparente sans nul doute à la fierté du bâtisseur qui, ayant consacré tout son savoir et toute son énergie à l’édification des murs, capables de résister au temps et aux tempêtes, se sent, à contempler son œuvre et à être rassuré qu’elle lui survivra, payé de tous ses efforts.
Inscrire ainsi son enfant dans la chaîne des générations, d’occuper cette place afin de remplir la fonction que son enfant à son tour, pourra remplir un jour : “Je fais pour toi ce que mon père autrefois a fait pour moi comme son propre père l’a fait pour lui. Un jour à ton tour, tu le feras pour tes enfants.”
Cette dimension de la transmission est sans doute pour les humains, l’une des seules choses qui puissent compenser la perspective de l’inévitable néantisation de leur vie, de la mort inscrite à l’horizon de toute existence.
Quand un être humain n’a reçu de ses ascendants, ni paroles, ni exemples et quand son histoire ne lui a pas permis de prendre conscience de ce manque, il reste dans l’errance, suspendu dans un temps qui, ne pouvant se conjuguer au passé, au présent et au futur, est condamné à l’immobilité. Incapable de se sentir comme le maillon d’une chaîne, il ne peut alors ressentir – au moins inconsciemment – le monde que comme un agrégat de monades isolées sans lien véritable entre elles ; que comme une sorte d’éternité morte où, l’idée de lignée n’ayant aucune signification, tout le monde (parents et enfants) est situé sur le même plan.
En consultation, les conséquences de cette béance, de ce vide se donnent à entendre très clairement. A la fois sur le plan symbolique, car le parent se révèle en général peu apte à fournir à son enfant l’aide dont il aurait besoin pour construire sa vie. Il se conduit comme s’il lui semblait normal que celui-ci découvre tout, tout seul :

“Ne vous en faites pas, la vie se chargera bien de lui apprendre !”

Loin de n’être qu’une affaire de richesse à laisser ou pas à ses enfants, le souci de l’héritage parle souvent, mieux que de longs discours. Transmettre ce que l’on sait : règles de vie, savoirs techniques, principes éthiques, l’histoire de sa famille et celle de leur pays, n’a rien à voir avec le niveau de fortune des intéressés. Un manuel de jardinage, un livre de cuisine, la bêche ou la scie que le patient tient du grand père ou de la grand mère ont représenté pour les enfants de la lignée autant de socles sur lesquels ils ont appuyé des pans entiers de leur vie…
A l’inverse, d’autres parents autrement mieux placés dans la hiérarchie sociale et mieux nantis semblent ne se préoccuper en rien de ce qu’il adviendra après eux. Ils fonctionnent comme s’ils clamaient à la face du monde : “Après moi, le déluge”. Mais enfin, je me suis bien fait tout seul, moi ! Pourquoi mes enfants n’en feraient pas autant ?
Certains parents vont plus loin encore, ils s’accrochent à leur enfant et l’utilisent comme une sorte de prothèse d’arrimage. Une fonction parentale qui inverse les générations : “C’est incroyable, non seulement ils ne se sont pas occupés de moi mais, en plus, il fallait que je m’occupe d’eux. C’était le monde à l’envers !”
On trouve déjà dans la bible, un différend tranché par le Roi Salomon confronté à deux mères qui, chacune revendique qu’il est le sien, en se disputant un enfant, ce Roi règlera la question en posant que la vraie mère n’est pas celle qui veut à tout prix l’obtenir, mort ou vivant, cet enfant. Mais au contraire celle qui, si c’est la condition pour qu’il vive, est prête, s’en séparant à tout jamais, à le laisser à l’autre. Que la mère qui aime véritablement son enfant est celle qui préfère le savoir vivant et loin d’elle plutôt que mort et dans ses bras.
Que dit par ce jugement le roi Salomon sinon qu’il ne suffit pas à un parent de revendiquer sa filiation et d’affirmer ses sentiments pour prouver qu’il aime véritablement son enfant ?
Cette vérité, pourtant, notre société semble l’avoir oubliée. En ne cessant aujourd’hui d’invoquer l’amour parental sans avoir sur sa nature et son contenu une réflexion suffisante, elle se condamne en effet à n’en rester qu’aux sentiments, mâtinés tout au plus de quelques considérations moralisantes. Les conséquences seront plus dommageable qu’on ne le croit, avec cette vision de l’amour qui suffirait pour élever son enfant.

Pablo Picasso – Mère et enfant

Les conséquences sur les familles de la croyance à l’amour:

Comme les parents ne cessent de s’interroger sur ce qu’ils font (voire de se culpabiliser), il serait important de leur expliquer les mécanismes psychologiques compliqués que mettent en jeu les problèmes éducatifs les plus apparemment ordinaires auxquels ils doivent, quotidiennement, faire face. Le préjugé “du moment que vous l’aimez tout va s’arranger !” devient “dénarcissisant” quand les échecs arrivent tout de même. Aujourd’hui, on a tendance à survaloriser la famille et la croyance en l’amour parental “toujours là et toujours bon”, va produire des effets dans nombre de domaines.
Dans certaines familles, on évitera un placement d’enfant en difficultés en famille d’accueil, alors que celles-ci constituent pour lui un contre-exemple manifeste. Les parents eux-mêmes, victimes d’une histoire personnelle qui les rend incapables d’être structurant pour leurs enfants. Confrontés dans leur enfance à des situations aberrantes, les humains n’ont souvent pour survivre d’autre solution que d’y trouver de la jouissance. Livré au sadisme d’un adulte par exemple, et en l’absence de toute aide émanant d’autres adultes, un enfant peut soit devenir un adepte de la douleur, – un masochiste – et il l’a cherchera alors en toutes circonstances. Soit, s’il perçoit le plaisir que son bourreau éprouve à le faire souffrir, se mettre lui-même à torturer : des animaux, ses camarades, etc. Jouir est en effet un moyen de ne pas être anéanti, de ne pas devenir fou, de ne pas s’écrouler totalement sous le poids d’un inhumanité trop radicale pour que le psychisme humain puisse le supporter, le “métaboliser”. Chez l’adolescent par exemple, cela lui évitera de “péter les plombs”. Cette installation de la jouissance est pour l’enfant d’autant plus dramatique que, s’il n’a pas pu être aidé, elle devient à l’adolescence l’un des matériaux qu’il utilise, pour se construire, sa sexualité adulte naissante.

Pablo Picasso – Maternité

La prévention de la délinquance

On constate que ses préludes s’annoncent très tôt :

  • quand en grande section de maternelle, l’enfant pose déjà des problèmes graves de comportement (violence, repli sur soi, hyperactif, etc).
  • quand on apprend que ses troubles et difficultés l’empêcheront de faire les apprentissages nécessaires compromettant ainsi son passage en primaire (absences régulières sans motifs valables par exemple).
  • quand les conditions de vie sont catastrophiques (grâce au travail des assistances sociales du secteur qui les signalent ).
  • quand on sait que les aînés de la fratrie ont déjà pâti de cet état de fait.
  • quand sous la pression du directeur d’école, de la psychologue scolaire, l’enfant ne viendra pas à son premier rendez-vous, parce que les parents malgré leur histoire ne ressentent consciemment aucune souffrance, (ils l’ont évacuée pour survivre) et ne veulent rien savoir de celle de leur enfant, etc.

On se dit que le mythe de l’amour parental et la survalorisation de la famille biologique qui en découle ne coûte pas seulement cher aux individus dont ils gâchent la vie, mais également à la société qui va payer un coût élevé, au vu de l’importance des populations sacrifiées et de la dérive idéologique qui s’ensuit.
Autant de recul grave de la pensée, dont on méconnaît aujourd’hui l’importance.

L’époque oublie qu’aimer son enfant ne peut donc se limiter à éprouver pour lui de l’affection, le recul de l’éducation favorise aussi bien la montée de la délinquance que la réduction de son traitement à la seule répression.

J’espère vous inviter à en savoir davantage en poursuivant la lecture de ces deux livres :

“Pourquoi l’amour ne suffit pas”, de Claude Halmos qui par un recul éclairant aux écrits de Françoise Dolto, nous invite à repenser ces questions essentielles du devenir humain.(2) et ( 3)
Ainsi que “L’autorité expliquée aux parents”, toujours de Claude Halmos, vous y trouverez une série d’entretiens autour de cas et d’exemples concrets.
D’autres outils de réflexions vous sont proposés en notes.

Chantal Cazzadori
Psychanalyse en libéral à Amiens
Conférence Salle Dewailly,
9 mars 2020

Claude Halmos : Pourquoi l’amour ne suffit pas ? p24

Le bonheur de la vie : dvd l’amour et la sexualité racontée aux enfants en 10 histoires, via Dolto.

YouTube : voir quelques extraits du dvd une série de dessins animés qui s’adressent aux enfants via F. Dolto : https//www.folimage.fr, dvd-le-bonheur de la vie, quelques extraits pour vous informer.
les DVD Mine de Rien, Catherine Dolto-Tolitch s’adressent aux tous petits, durant 100 minutes.

A écouter:
sur YouTube : Augustin Ménard : qu’est-ce-q’un père au XXIè siècle ?
A. Ménard psychiatre-psychanalyste, enseignant au collège clinique de Montpellier.