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L’autorité du maître Versus l’autoritarisme du numérique

Devenir Psychanalyste c’est un Acte « l’analyste ne s’autorise que de lui-même et de quelques autres » Lacan (1)

Propos préliminaire : De quoi parler , vu que je ne suis pas encore analyste et que je ne peux donc m’appuyer sur aucune clinique pour développer un propos psychanalytique ?

J’ai donc pensé partir de ce que je connais un peu de par ma profession d’enseignant c’est à dire de la parole du maître et de sa perte de poids , qui ne date pas d’hier mais qui est devenue exponentielle depuis l’arrivée du numérique. Cela nous permettra de garder un lien avec le thème de l’an dernier (« Les conceptions modernes de l’évitement du manque »), et peut-être d’ouvrir sur celui de cette année  (« L’acte analytique : ni religieux ni politique ? »).

 

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En souhaitant parler du maître et de son autorité, je ne me réfère pas au discours du maître de Lacan mais à la parole du sujet supposé savoir , c’est à dire celui ou celle qui est autorisé (sa parole fait autorité) en vertu d’une alliance symbolique, entendons par là que celle-ci repose sur le langage et non sur le « corps à corps » du réel. On voit ici que la loi n’est pas loin.

Je pense donc tout simplement au maître d’école, à l’enseignant, mais aussi au médecin, au « psy » et même à l’arbitre ou au coach sportif. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce dernier est le seul dans la liste à avoir le vent en poupe, prouvant par là même que l’être humain sait bien au fond de lui qu’il a encore et toujours besoin d’un rapport subjectif avec ce sujet supposé savoir qui va le mettre face à son désir. J’en veux pour preuve le succès des salles de sport dans lesquelles un coach harangue ses clients – parfois à la limite de la réprimande- à passer à la vitesse supérieure de leur vélo ou de leur piste de step.

Mais à part le coach sportif, il faut reconnaître que la parole du maître est plutôt malmenée dans la plupart des domaines inter-subjectifs ,  tous touchés par le virus de l’immédiateté et de l’efficience , que l’on pourrait aussi écrire effiscience.

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A l’heure où un simple clic sur Chat GPT peut vous apporter une information qui  sonnera comme une vérité indiscutable parce que “internet l’a dit”, pourquoi continuer à s’en remettre à la parole individuelle d’un être de chair et de sang dont le contenu dépend peut-être un peu  de ses idées politiques ou religieuses, voire de comment il s’est levé le matin?

Parce que c’est l’acte de parole qui fait levier dans la transmission d’un savoir, tout comme dans l’annonce d’un diagnostique ou le déroulement d’une thérapie. C’est à dire que rien de bien profond ne peut se faire sans cette relation inter-subjective entre apprenant et enseignant ou patient et thérapeute que l’on appelle de façon tout à fait significative le transfert. En d’autres mots , l’écran ne pourra jamais remplacer la relation professeur élève car l’écran n’attend  rien de l’apprenant, qui lui même n’est pas en position de désir face à la machine.

Le rapport à l’autre est bien indispensable chez l’être humain, sans quoi c’est la régression assurée vers l’insensibilité atrophiante d’un confort utérin prénatal, ce que recherche le drogué en se mettant au delà de tout désir, dans un besoin unique. Il faut ce regard de l’autre qui va me conforter dans ma quête ou en modifier la teneur, mais qui toujours en sera l’aliment.

Ainsi pourrait-on avec un clin d’oeil respectueux modifier l’aphorisme de Sartre et considérer l’enfer sans les autres.

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Ce pouvoir activant de la parole, c’est celui qui a poussé depuis des temps immémoriaux l’élève à mettre ses pas dans ceux de son maître pour ensuite le dépasser et poursuivre l’investigation créative, fort de l’ évitement des écueils initiaux, re-connaissant  des savoirs de départ donnés comme de précieuses vivres permettant l’ascension du col suivant et l’inscrivant dans une cordée envers laquelle il demeure à jamais redevable, quelque soit le mérite du franchissement du col qui lui a échu.

C’est cette parole active sur laquelle se fonde l’autorité du maître. Une parole qui n’est pas fermée , qui donne à voir.

Cette autorité ne peut donc être que symbolique . C’est à dire qu’elle n’existe que par les mots qui la porte et tant que ces mots sont eux mêmes portés et validés par l’autre. Dès lors qu’elle rentre dans le domaine du réel (le réel étant justement ce qui échappe au langage, ce qui “touche” au corps même), elle devient autoritarisme, coercition.

L’autorité ne vaut que par l’alliance qui se fait autour d’elle, elle n’est rien d’autre qu’un signifiant, un mot en somme . Pas grand chose alors, peut-on penser. Tout, au contraire ; tout ce qui nous différencie de l’animal en tout cas, qui lui n’est pas capable de régler ses problèmes relationnels autrement que par le contact direct avec le réel, n’ayant pas accès à la médiation du Logos, à la distanciation du système symbolique.

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Avec l’IA , on passe dans l’autoritarisme du réel car c’est une écriture sans lien à une parole, ce qui implique qu’elle est univoque et prétend effacer le manque-à-être du sujet en lui apportant des énoncés incontestables car figés.

L’autoritarisme de l’IA tient en son univocité qui repose sur un code et non sur le langage, dont le sens n’est , lui , jamais clos .

Cette univocité , on la voit dans tous les grands romans dystopiques  de 1984 à Fahrenheit 451 en passant par Le Meilleur des Mondes , dans lesquels c’est justement la technologie qui favorise la censure au service du totalitarisme. Or , qu’est-ce-que la censure sinon un ban mis à l’équivocité , l’interdiction de la plurisémie , c’est à dire le « sens unique » , dans tous les sens du terme c’est le cas de le dire. Et l’on sait bien que du sens unique au sens inique il n’y a qu’une lettre.

En faisant la somme de toutes les connaissances publiées sur un sujet donné , l’IA fournit un énoncé qui gomme chaque situation d’énonciation dans laquelle a été produit chaque énoncé de départ et il n’en procure aucune autre lui même puisqu’il est issu d’une machine et non d’un être parlant, un « parlêtre » selon le néologisme de Lacan. Il ne laisse donc pas la possibilité de faire vivre le discours , ni ne donne à celui qui va tenter de le porter la possibilité de s’y trouver représenté à partir d’une énonciation qui laisserait le sujet de l’inconscient s’exprimer dans les imperfections du langage humain.

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Contrairement à l’IA , l’autorité du maître est contestable car sa parole n’est pas univoque puisqu’elle est issue d’un sujet de langage. Elle peut donner lieu à interprétation ou à des malentendus. Il est même sain qu’elle soit contestée à certains moments de la vie du sujet -comme à l’adolescence par exemple- , car la construction de ce dernier passe par la déconstruction des premiers référents imaginaires parentaux, quitte à les reconstruire plus tard mais soi-même. C’est ce qui se passe aussi à la fin de la cure analytique avec la chute de l’analyste du piédestal imaginaire où l’avait placé l’analysant.

Et puis le professeur peut se tromper , tout comme l’arbitre , le médecin ou le psychanalyste. Même s’ils connaissent leur sujet , ils sont faillibles. L’accepter est une façon de reconnaître ses propres imperfections, de se savoir incomplet. C’est aussi confier dans le pouvoir de cette parole extérieure en tant que source agissante.

L’acte analytique implique le désir de l’analyste , donc lui aussi reconnaît ce manque à être intimement lié à un discours qui ne dit pas tout , qui tourne sans arrêt autour de l’objet « a » sans jamais le saisir.

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On peut donc conclure en disant que l’on a besoin de l’autorité du maître / médecin / confesseur-psy / arbitre… – dans le sens d’une parole autorisée – , car elle fait éclore le sujet (souvent au prix légitime de la chute du maître). Elle est clairement du côté de la pulsion de vie car elle laisse place au désir , elle laisse du « jeu » , littéralement dans le cas de l’arbitre de sport.

En revanche , l’écriture de l’IA est autoritariste et mortifère car elle fige et ne donne rien à voir. À l’instar des discours religieux ou politiques , elle est infaillible (c’est le dogme) et elle infantilise celui à qui elle s’adresse par ses messages univoques qui ne permettent pas au sujet d’advenir par le biais du désir, issu du manque-à-être intrinsèque au parlêtre .

 

 

Christophe Meyer

Enseignant à Malaga, Espagne
Futur psychanalyste
Intervenant à l’association Analyse Freudienne

Qu’est qu’un CARTEL dans la démarche de formation psychanalytique

 

Cyril Ruoso

Photographe animalier professionnel
www.cyrilruoso.fr 

La face cachée des clichés :

Vous êtes dans la rubrique « coin du feu », un moment de détente et de convivialité qui invite aux partages des souvenirs croustillants de la journée. Un moment où on refait le match, on revit les scènes qui nous ont chahutés, on imagine la photo que l’on aurait pu faire si … et parfois on se remémore des instants anciens, magiques où tous les astres étaient alignés, où la quête prenait tout son sens.

ici je vous raconterai les anecdotes cachées dernières certaines de mes photos, des moments cocasses, drôles ou effrayants, qui colorent l’existence.

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