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Le colloque international “Totem et publicité”

Photo Chantal Cazzadori psychanalyste

a eu lieu à DAKAR, du 27 au 30 octobre 2008. 

Un évènement qui a réuni des participants de France, de Belgique et d’Afrique. L’équipe de l’association  “Vivre Art” (1), de Dakar sous la direction de Martine Fourré, est à l’initiative de ces échanges, débats et rencontres. Les organisateurs sont la Société de Psychopathologie et d’hygiène mentale de Dakar (SPHMD) présidés par les Professeurs Momar Gueye, et Elimane Kane.
Ces notes prises à l’issue du colloque et retravaillées après coup, sont ma contribution à cet évènement. Elles ne relatent bien sûr qu’une partie des riches interventions. Les intéressants débats avec une audience nombreuse et participative, les films visionnés ainsi que la visite du Musée de Dakar animée par le Professeur René Collignon, anthropologue au C.N.R.S. de Paris, ont nourri abondamment mes réflexions.
C’est en allant voir un film que ce colloque m’a re-questionnée. Est-ce un retour du refoulé des notes prises durant ces trois jours, que j’ai ressorties pour qu’elles fassent trace d’un passage, le mien, par delà nos deux rives ? En tout cas, c’est avec plaisir que je vous livre les points clefs de ce premier colloque inter-disciplinaire organisé par l’Université de Dakar. Il nous reste à communiquer ces échanges nécessairement, dans et  au-delà de nos frontières respectives.

Le malaise dans la civilisation ne cesse de faire symptôme. Dans le dernier film italo-brésilien de Marco Bechis, “la terre des hommes rouges”, qui vient juste de sortir sur les écrans parisiens, il est aussi question du Totem : un TOTEM à abattre, me semble-t-il !
Une fiction qui parle de ces Indiens de la Tribu Kaiowa, au Brésil, au coeur de la révolte, décidés à ne plus “faire de la publicité” leur travail journalier, pour touristes à l’affût de l’indigène typique des temps perdus. Chargés de mimer jusqu’à la caricature leur identité et leur image, en un spectacle dérisoire et grotesque, parqués dans une réserve pour figurer à la demande ces scènes pittoresques, leur mascarade annonce la couleur, aux premières prises de vue, sur le fleuve de la forêt amazonienne. C’est ainsi que se dissipe une culture ethnique, qui se vend pour satisfaire de nouveaux besoins d’un monde qui ne rencontrera jamais l’autre, le particulier, le singulier d’en face, que l’on jouit de voir. C’est à la suite de deux suicides des leurs, que la tribu décide résolument de quitter sa condition d’exploitée à bas prix, pour retrouver sa dignité à travers ses coutumes, ses racines, sa terre. La dimension du sacré, du totem ancestral, redonne pour quelque temps une autre grandeur à leur vie précaire. Le chaman reprend son initiation sur le territoire reconquis à la hâte, sans autorisation, autour d’un campement de tentes faites de bâches de plastique noir. Tout s’organise autour des rites et des tabous, un totem s’érige dans le champ de terre rouge, duquel a été spolié les ancêtres. Le sacré fait figure de représentation, la cohésion du groupe s’établit sur la filiation, les idéaux et les chefs. Au sein même de cette petite communauté, deux mondes s’affrontent : celui des anciens qui voudrait transmettre intégralement sa culture totémique sans tenir compte de la réalité ambiante du monde de leurs jeunes enfants, porteurs des nouveaux symboles issus de l’ère numérique, de la télévision, des marques publicitaires ; et, un monde nouveau, accessible si l’on paie le prix de l’esclavage, ce que le Chaman interdira dorénavant.

En Afrique, le TOTEM est  en voie de disparition ; de plus en plus de foyers sont équipés de télévisions au dépend des traditions et croyances qui font ciment social et lien collectif  à la fois protecteur et soutenant.
La publicité, qui arrive par la toile ou l’écran, prend le rôle d’un nouveau totem ; elle agit à bas bruit sur les inconscients des êtres en quête de rêves et d’un ailleurs. De nouveaux mythes hauts en couleurs, à forte puissance figurative, vont naître pour combler la place vide du totem disparu. Le sacré sera remplacé par l’objet de consommation, toujours nouveau, jamais rassasiant, incitant indéfiniment le désir du sujet. Une société de marchandisation déploie peu à peu tous ses artéfacts incitant Monsieur tout le monde à jouir vite, sans souci de réalité, de ses nouveaux dieux d’adoration à travers les marques et comportements stéréotypés.

Dans la fiction-documentée du film de Marco Bechis, le TOTEM s’accapare du psychisme : il crée des fonctions et des rôles régulateurs nouveaux, où le sacré et le maudit, agissent comme un système subtile de relations sociales, régies par les lois de la parenté, avec leur efficacité symbolique.

Durant le colloque, Charles Di, Docteur en Psychologie, spécialiste en ethnopsychiatrie en France, posait la question du Trauma généré de la disparition du TOTEM, du vide créé par son recul en Afrique, soulignant combien “la publicité peut enserrer le sujet d’une pensée qui l’empêcherait de penser ; ça a choisi, le sujet n’est plus ! il serait par conséquent urgent d’inventer de nouveaux totems dans des formes nouvelles.”

Mamadou Mbody, Docteur en Psychologie, Maître de conférences à l’Université de Dakar, nous faisait à son tour remarquer, la dislocation des liens familiaux, lorsque le TOTEM n’est plus tabou. La disparition du totem joue un rôle dans le changement des mentalités. Il précisera : “L’affaiblissement de la loi du père, de sa parole, faisant défaut à l’enfant, les interlocuteurs changent. La mère souvent dans une profonde solitude, non soumise aux pratiques rituelles disparues, va livrer son enfant au groupe. Les lignades se sont appauvries au Sénégal, la socialisation se fait hors les sphères habituelles. Par les représentations et les interdits transmis lors des légendes racontées, le sacré faisait son effet sur l’enfant qui pouvait ainsi naviguer, construire et structurer sa subjectivité. «  Livré à la toile, l’enfant sans interlocuteur humain se construit une représentation de sa culture faite de bulles d’illusions, de stratégies solitaires, en rupture de lien et de sens. Aujourd’hui, dans les écoles, l’échange de vidéos pornos se monnaie à coup de coca-cola… ». L’accession des enfants au monde des adultes, sans intermédiaires, sont prioritairement happés par le monde virtuel qui les met à la merci de la rue, menaçant ainsi de rompre leur attache sociale, instaurant une confusion entre la réalité et le virtuel. La déritualisation conduit les jeunes vers des comportements déroutants, sans séparateur, faisant perdre les références liées aux modèles identificatoires du groupe familial élargi. Dans ce nouveau contexte, comment s’effectuera pour le sujet sa construction réelle, imaginaire et symbolique, s’il grandit dans un monde déconnecté de son assise relationnelle par la médiation des images ?

Retour au film : le réalisateur transpose en fiction le désespoir d’un clan qui essaie de “renaître” par l’opération d’une révolte pour réparer une terrible injustice faite par les blancs qui ont spolié leurs ancêtres de leur terre  d’origine, ils invoquent rituellement les Dieux de leur nouveau Totem installé au centre du champ pour se le réapproprier. Même si le totem retrouve temporairement son efficacité symbolique pour mobiliser le groupe, le temps de l’espoir d’une reconquête, leurs adolescents incarnent leur malaise, tenaillés entre l’exigence de préserver l’identité de leur tribu et la nécessité de subvenir à leurs besoins. La forêt est vide, la chasse et la cueillette sans grand succès. Il s’agit maintenant de voler pour vivre. Retravailler serait trahir son clan qui décide de son indépendance sur le lieu mythique sans ressource, saigné à blanc comme eux-mêmes Leur transgression pour vivre coûte que coûte sur ce territoire raflé à leur tour au riche propriétaire blanc, sans foi ni loi, leur sera capitale. Soumis par une attaque surprise de nuit par les “oiseaux blancs impérialistes”, (Birdwatchers, titre original du film – ceux qui observent les oiseaux- désignent aussi bien les touristes guetteurs d’oiseaux que les indigènes exhibés ), le leader référent du groupe a été assassiné par une bande payée par le propriétaire des lieux. Leur monde s’écroule, les “esprits” sont vaincus, la présence maléfique s’impose. Le totem à abattre serait-il sans objet ? Cette communauté exangue à la culture mourante se solde par les suicides des jeunes adolescents et l’assassinat de leur chef indigène. Le désespoir des anciens dans l’alcool  révèle également l’ampleur de leur désarroi. Pourtant la dernière image de la fiction lance un baroud d’honneur au monde : non ! Halte là, le dernier suicide n’aura pas lieu ! L’adolescent, dans un sursaut, défait sa corde, reprend sa marche, sans doute soutenu par les idéaux des siens vivants et disparus. La communication dans ce groupe a vaincu l’isolement même si la crise identitaire est aiguë, là ça parle…donc ça peut choisir… le sujet est et deviendra, osons cette alternative !!

Michel Chauvière, Sociologue au CNRS de Paris, nous retraçait l’histoire de la disparition du TOTEM en France et l’instauration de l’autorité parentale en I970. La laïcité nous réduit à nous-même disait-il : “Ni Dieu, ni César, ni Tribuns, que mettre à la place ? la nostalgie ? non bien sûr, mais plutôt le pari sur l’enfant “. C’est le Droit écrit qui fait totem aujourd’hui, le dernier totem qui nous permet de vivre ensemble. L’institution est là pour réaliser les droits acquis, comme l’acte de parole posé et agit, par les hommes et les femmes responsables, pour transformer l’oeuvre. Ce triptyque : Droit-Institution-acte est gage de développement social et économique même s’ils sont en rapport conflictuel.

Yves Kaufmant, Psychanalyste Psychiatre, présentera à son tour les nouveaux TOTEMS érigés par notre époque. Il donnera d’abord une définition de celui-ci : “ce qui fait totem c’est l’ensemble des signes balisés, recouverts de signifiants, auxquels on se caractérise comme semblable, (cravate, costume, grigri..). Puis, il rappellera que dans le totem, on trouve une identification plus une vérité ; par exemple, dans le jeans, le mythe du cow-boy agit avec la proximité du bleu de travail comme vérité. La Publicité jouerait l’effet pervers du pseudo-totem, elle vend ce que nous ne voulons pas et dont nous n’avons pas besoin ; c’est assez extraordinaire comme projet ! La suggestion faite par l’image porte sur l’identification primaire du stade du miroir.” L’image du plus de jouir véhiculée par les publicités est loin de l’absence d’entraves de l’utopie soixante-huitarde,  dans la mesure où elle proscrit le désir. Dans les fêtes, toute parole est bannie, on ne sait plus avec qui on boit, baise, vomit.. Le mythe supposé universel échoue, détrôné par la culture, le totem est à bout”, ajoutera-t-il.
La jouissance organisée est maintenant ordinaire, banale, les images et les signifiants nouveaux apparaissent et fabriquent des mythes aberrants et mensongers, articulés de façon cohérente et logique.

Si nous rappelons le mythe Totem et Tabou, une fiction écrite par Freud, le désir des fils de jouir exclusivement comme le père  de la mère et de toutes les femmes, les a amenés à sa mise à mort pour ensuite, le dévorer dans un repas totémique puis, finalement, remettre en place l’interdit, afin d’éviter le fratricide qui les obsédait. Le père interdicteur, assassiné réapparaît dans le totem qui fait loi par le tabou de l’interdit de l’inceste, du parricide et du cannibalisme .Une histoire racontée pour dire l’importance symbolique du Nom du Père mort, interdicteur, séparateur et castrateur, représenté par le Totem et ses tabous. L’autre tabou moderne, érigé, serait celui du “tout financier incarné par la connotation « bling-bling », des jouissances branchées”. Le grand Autre lacanien incarné dans le Dieu Argent, construit sa cour et ses idéaux mythiques. L’image influence et suggère  ses adeptes et ses serviteurs, par son effet hypnotisant. Nouvelle star de la Jouissance, elle réactive les processus primaires pulsionnels au détriment de l’unité de pensée liée aux processus secondaires. Agir plutôt que penser. Le leurre de la sensation l’emporte sur la construction logique et critique. Yves Kaufman fera un parallèle avec les théories cognitivo-comportementales, suggérant aux patients, par l’application de leur protocole, des images, pour vaincre l’angoisse sans en rechercher les causes. Eliminer le symptôme en attaquant l’éprouvé au lieu de faire émerger les signifiants propres du sujet. En fait, il s’agira plutôt de déplacer le symptôme, ce qui marquera l’échec relatif de telles orientations, masquant la vraie problématique du patient.

Jean Paul Desgoutte, Linguiste et Documentaliste de film, reprendra le passage par le stade du miroir, pour rappeler que l’identité est reçue de l’extérieur, par un autre qui nous nomme, nous décrit, et c’est à partir de cette profération, comme acte de parole, que se constitue notre noyau d’identification à venir de façon imaginaire. Un regard sur notre reflet et celui de notre tuteur primordial, donnera une image délimitant ainsi notre contour physique, notre limite, en indiquant la séparation première d’avec la mère. « Le sujet est d’abord le produit de l’acte de parole et d’un regard de reconnaissance, réceptacle ou destinataire d’une attention et d’une intention qui le manifeste comme double ».

Parler avec la Télévision, tel est le titre de l’intervention de Jeanne Lafont, Psychanalyste,  Topologue et Docteur en philosophie à Paris. “Inspirée ou nourrie” par la publicité du produit laitier DANETTE, une jeune autiste en institution suivie par J. Lafont, se lève comme la foule de la pub, et sort son premier mot « DANETTE », lors d’une séance de travail. Une parole nouée au mouvement de son corps témoignerait par la médiation de l’image publicitaire de son être là ? Dans cette autre langue que celle de sa mère, d’une autre culture, elle passe par la publicité, elle qui ne parle  pas encore, pour faire lien, écho, donner du sens à qui à quoi ? son bain de langue, c’est aussi la télévision, le seul média français de son environnement familial. On pourrait en effet dire, que si elle apprend la langue des autres, ses semblables, avec cet outil moderne,  ce serait aussi pour chercher à  les rencontrer, en tout cas essayer de communiquer à minima. Son corps est bien présent dans le temps de la séance, assise parterre, elle fait le geste répétitif de ramener vers son sexe, la poussière du sol, dans ce jeu d’aller et retour, qui rencontre-t-elle là aussi ? un corps-objet ? Fusionné à la mère, pris dans la relation duelle d’avant le langage ? Avec son analyste, sa rencontre se fera, non pas avec une image muette, mais avec la personne du transfert à qui elle s’adressera . Son analyste joyeusement surprise rira comme par complicité, pour avoir regardé le même message, mais n’allons pas trop vite…Le geste plus le mot renvoient à l’appropriation du son et de l’image, que l’enfant va incorporer en spectateur, attentif du petit écran. Le nouage s’effectue entre le corps de jouissance pulsionnelle et la parole comme jouissance découpée par le mot, il s’agit de deux choses binaires non unitaires. La pulsion et le mot se nouent pour un dit entendu et vu dans le miroir du petit écran, ce qui nous fait poser l’hypothèse, que  si l’image de la publicité est à lire comme un bain de langue, Danette n’est pas un mot, ni une signification, mais une écriture sans subjectivation, celle d’avant le stade du miroir. Si l’enfant est entré dans la phonation, elle ne parle pas d’elle-même. Sa parole n’est pas encore en place. Ce slogan Danette qui lui permet de parler  pour la première fois sans pour autant faire acte d’énonciation, indique que quelque chose reviendrait sur elle-même, comme une aliénation à l’image du corps de l’Autre. Le signe Danette serait-il la reproduction d’un slogan, mainte fois entendu, et utilisé là dans la relation pour apprendre à parler la langue de l’autre, son alter ego par le truchement de l’image télévisuelle ? Si la question du sens reste énigmatique, le regard associé à son écoute ne viendra pas échouer là, dans une séance vide de signification. « Si tout sens qui garantit la vie, la mort, l’amour est religieux, la télévision deviendrait-elle un nouveau TOTEM,  dont la publicité serait la nouvelle religion, que l’enfant coupé du monde extérieur se servirait comme support, pour aller vers quelqu’un d’humain ? » J. Lafont, histoire à suivre, bien entendu !!

Martine Fourré, Psychanalyste, Docteur en psychologie à Dakar, à l’initiative de ce colloque préparé pendant trois ans avec les partenaires locaux et étrangers, nous parlera du TOTEM sans tabou.
Elle commencera son propos par une histoire vraie, d’un enfant scolarisé qui, brusquement, a sauté du deuxième étage de sa classe pour disparaître et réapparaître le soir, comme si de rien n’était, affolant les autorités et secours locaux à sa recherche. Identifié aux héros des clips virtuels, il a volé, plané, attéri sans le moindre danger de mort, comme s’il avait incorporé  la toute puissance de ses fans.
L’image de soi se construit aussi dans le miroir que représente les supports de la publicité, des films de série, des héros portés à l’écran etc… l’identification se ferait immédiatement et prendrait valeur de référence pour un groupe d’âge donné, ou d’une catégorie sociale. Prenons l’exemple des japonaises habillées comme dans les bandes dessinées des mangas qui classifieront d’emblée leur sentiment idéal d’appartenance. Les média véhiculeraient ainsi des modèles parfaits eu égards aux humains faillibles, manquants voir impuissants. Le monde virtuel joue le rôle d’excitateur de la libido, trouble la notion du temps et paupérise l’imagination. La jouissance est prompte, sans recul possible pour penser, élaborer, facilitatrice d’une passivation de la pulsion qui consiste à se faire bouffer, avaler par le flot continue des infos, bien installé dans le  « ventre moelleux du canapé familial », jolie formulation de Martine Fourré. Si le contrôle parental ne s’établit pas, des troubles d’hyperactivité, de déconcentration, de désocialisation apparaîtront . « Les totems publicitaires des écrans pixellisés transmettent sans tabou la part voilée de chacun qui fait notre singularité » . Régressé au stade d’avant le langage, le sujet cultive un fantasme qui peut le faire passer de l’autre côté du miroir, passage à l’acte sans réfléchir, compulsivement pris dans l’imaginaire de cette relation scopique au reflet des images publicitaires. On meurt, on ressuscite, on est fort et violent, on gagne sans perdre, on se croit face à un semblable pas traversé par les interdits qui contredisent les désirs incestueux, sans avoir à franchir les étapes d’une construction faite par le défilé des castrations symboligènes comme les nommait Françoise Dolto. Il s’agit bien ici du déni de la castration, de la différence sexuée, de la menace structurante que la culture appelle non pas sans douleur, au renoncement des pulsions, pour mieux vivre son rapport à l’autre humain. D’autres questions toutes aussi fondamentales nous interpellent : où est le rôle de l’écriture pour servir de support à la pensée si le livre disparaît ? Quand la communication parentale se tarie, laissant la place à l’idéologie des écrans qui envahit et aliène, que devient l’enfant en construction psychologique ?
Trop de culture médiatique avalée, non digérée, non problématisée favorise le culte de l’ego, l’agressivité qui gagnera sa place sur l’autre, occultant la faille dans la source du désir qui disparaîtra. Tout deviendra alors interchangeable, monnayable, laissant prédominer l’émotion, la sensation sur la raison critique d’un discours troué, imparfait, contradictoire mais porteur d’idées propres à faire penser.
Le sacré et le tabou ont quitté le champ de la réflexion, la transparence devient un nouveau culte pour nier le manque. Comme si aucune image ne nous manquerait. « Le : «  d’où je viens ? » n’est pas le sujet, porté ici par les mirages du comblement jouissif de sa pulsion de l’immédiateté, de la résistance à la frustration”( M.Fourré). Déni du manque, déni du pas tout, la publicité fait plus que vendre des produits, sa duperie, son illusion non explicitée, relayée par la parole, le livre, la réflexion et la communication des adultes pourrait-elle alors rendre l’autre fou ?

Au terme de ce congrès, que de sujets de réflexions s’offrent à nous !  A approfondir bien évidemment ! Toutefois, j’aimerai insister sur certains points qui, à mon sens,  méritent un éclaircissement.

Dans la présentation du sujet annoncé, « Totem et Publicité », la télévision et les médias fabriquant de nouvelles représentations, devaient nous interroger sur l’influence qu’ils produisent sur l’éducation, l’identification, le besoin de reconnaissance de l’homme d’Afrique, qui délaisserait de fait, ses croyances et traditions. Il m’est apparu qu’une confusion s’insinuait entre télévision ou internet  et publicité. En effet, ce n’est pas l’objet télévision ou l’objet internet qui posent problème, mais plutôt l’utilisation que l’on en fait en tant que vecteur de messages imaginaires d’illusion et de duperie. L’addiction à la télévision n’est pas le fait d’Arte ou de chaînes sans publicité. Elle repose sur un besoin identificatoire et une demande de jouissance sans limite. Cette reconnaissance identificatoire on la retrouve dans la pub ou les jeux vidéo qui nous conduisent à la déréalité, à tel point qu’ils créent de nouveaux Dieux, qui viennent brûler le totem et ses représentations collectives.
La publicité est omniprésente, sur les murs et les médias modernes pour créer un nouveau culte, un espace de rêve et de vérité qui pourrait avoir à terme, une dimension religieuse dans le collectif. L’être humain en quête de jouissance essaiera de la récupérer par son reflet, son image, son prochain porteur d’un trait d’identification commun avec lui. Comme le sujet se voit dans son semblable, son moi idéal sera jubilatoire d’autant qu’il cherchera ensuite dans le groupe un idéal qui le réunira autour d’un leader. Dans « psychologie collective et analyse du moi » Freud parle d’une foule constituée déjà par deux personnes. Le groupe dans sa dynamique suscite bonheur, espoir, idéalisation dans la réalisation d’un désir transcendé par ses idéaux qu’authentifie son maître à penser
Le chef expliquera pourquoi l’impossible est là, castrateur et blessant, il soulagera ainsi les attentes trop fortes, irréalistes. Il pourra même attiser nos fantasmes pour espérer que l’interdit se réalise. Dans la solitude de l’homme déconnecté de ses alter ego, seul face à son écran et sa toile, il sera soumis tout aussi jouissivement par ses pensées, aux images et messages d’addiction, produits  sans recours à la médiation d’un ancien, maire, maître ou médecin. Là est toute la différence, entre faire du lien social influencé par les médias et s’aliéner, seul face aux séries B, et aux publicités sur écrans informatiques et/ ou de la télévision. Si le chef promet monts et merveilles, ou interdit drastiquement telle pratique, initiant ainsi l’aspect religieux du lien social, la publicité n’est elle pas, elle aussi, un danger pour la pensée ? Une nouvelle possibilité de fabriquer du religieux, par la puissance médiatique des nouveaux supports non discutés, non problématisés par une culture de la parole, de la tradition, de la confrontation à autrui, ne serait-elle pas le vrai piège ? Le pouvoir des média a toujours été dénoncé, parlé, discuté comme celui de la publicité.
Ce qui nous questionne aujourd’hui c’est l’attrait du monde virtuel qui entre partout et nous désubjectivise par sa quantité d’info, de messages faux, vrais, que nos enfants non cadrés ou nos errances d’adultes pourraient mettre à mal. Hier, samedi I7 janvier, un reportage de quelques minutes, au journal télévisé de France 2, de 20H, tentait d’alerter les parents devant la consommation abusive de jeux virtuels par les collégiens. Une association parlait des coûts répercutés sur les factures mensuelles des téléphones, allant jusqu’à des sommes énormes, pour prolonger l’attrait des jeux qui se poursuivent sur des durées annulant le temps réel. La jouissance rapide, sans entrave voit là sa réalisation annulant toute critique. La Publicité associée à la virtualisation à outrance de nos représentations n’ouvriraient-elles pas un espace possible à l’injonction du religieux ? La quête d’idéal étant ce qui soutient l’homme dans ses espérances ne s’aveuglerait-il pas dans une pensée devenue unique qui pourrait alors trouver son soulagement dans le crédit fait à telle marque, tel objet, telle idéologie, malmenant le sacré et le tabou par l’éloge du tout marchandisable ?
Dans les débats, ce sujet me semble avoir été trop peu posé, heureusement, dans la toute dernière intervention du Docteur Abdoulaye Elimane Kane, l’impact de la publicité comme annonciatrice d’un nouvel espace religieux a bien été repris, sous forme de petites histoires réalistes et très édifiantes.

Retournons en Afrique, qui en 30 ans, est passé de la Brousse à l’ère de l’internet. La publicité s’est inventée sans totems, que pourrait-on inventer dans l’au-delà de l’image ? Comme le disait dans la conclusion du colloque le Docteur Abdoulaye Elimane Kane, Professeur titulaire du département de philosophie de l’UCAD de Dakar : «  Qui est le vrai sujet de l’image ? Nous ou l’autre qui parle ? la Vérité est entre les deux, c’est un bricolage entre nous-mêmes et l’image de la télévision, ni exclusivement de nous, ni exclusivement d’eux, mais dans l’entre deux. »

MODE, NET et IMAGE de SOI :

Pour conclure, j’apporterai une note optimiste à ce colloque : je viens de vivre, en tant que grand’mère d’une pré-adolescente de 13 ans bientôt, un moment où le net a aussi joué un rôle de tiers auxiliaire, d’une grande efficacité symbolique. « J » est venue me voir à Paris, durant un week-end. Elle a choisi son programme : faire les soldes , puis aller se baigner dans un grand espace aquatique et ludique. Le corps et son image étaient au rendez-vous, contrairement aux visites précédentes où la culture, expo, cinéma, découvertes étaient prédominants. Faire de multiples essayages avec les vêtements choisis dans mes armoires, apprendre à se maquiller, chausser les talons, arranger sa coiffure, l’occupa des heures sous mon regard admiratif, appareil photo à la main, finalisant ces essais par un défilé de mode impromptu.
Cet avant temps d’apprivoisement de son image modifiée, vieillie de quelques années, fut suivi par un temps virtuel où le net permit de continuer l’expérience de maîtrise de soi. Livrée à elle-même, je l’autorisais à accéder à ce champ virtuel qu’elle occupa deux heures durant, habillant à son tour tel mannequin, avec des effets de tous styles et genres. Le lendemain, elle choisissait pour de bon, dans une multitude de vêtements soldés, lequel lui conviendrait le mieux. Elle me demanda de rester à ses côtés, mais fit son choix elle-même, selon ses goûts propres.
La deuxième séance de défilé de mode reprise ensuite, avec ses nouveaux vêtements, seyants et en rapport avec son âge, non tentée par ceux qui « faisaient plus lycéens que collégiens, ou un peu trop femme.. ». Jouer, fictionner, fantasmer, anticiper son image avec des outils modernes trouvés sur le site permettent à l’imaginaire de se déployer, de s’identifier sans entraves. Ce temps pour rêver devient structurant s’il est soutenu par le regard de l’autre (le mien en l’occurrence) nommant et communicant. La série de photos des défilés de mode fut elle aussi coupée, revue, corrigée pour finir dans sa clef usb, destinée à un ailleurs, le sien, celui du partage avec les copines et éventuellement la famille. Nous avons vécu avec jubilation ce stade du miroir-net puisque l’inter était là, par la parole, les échanges de regards de reconnaissance d’un corps en pleine métamorphose.
Temps précieux puisqu’il fabrique aussi du lien trans-générationnel subjectivant pour nous deux !
Internet, publicité incluse, ne joue-t-il pas le rôle du Totem dès lors qu’il n’induit pas un isolement, mais plutôt un échange fait de partage ou de différents ?

Chantal Cazzadori

Psychanalyste à Paris et à Amiens

Janvier 2009

chantal.cazzadori@gmail.com

(1) L’association VIVRE ART, propose à des pré-adolescents (et à leurs parents) des séjours au Sénégal de courte et moyenne durée, dans le but de faire le point sur leurs difficultés, leurs projets, leur entrée dans la vie. (Extrait de la brochure).