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De quelles façons l’ébranlement de la société patriarcale rejoue l’expression du symptôme chez le sujet, notamment dans ses rapports au grand Autre et au petit autre ?

Mucha

Artiste: MUCHA

Il est indéniable que les sujets en analyse, aujourd’hui, ne sont plus tout à fait les mêmes au regard des bouleversements sociaux auxquels nous assistons. Ces sujets apportent souvent des situations inédites qui nous obligent à considérer les rapports que ces sujets entretiennent avec les fondamentaux, place du grand Autre et fonctionnement de l’objet petit a.
J’ai eu envie de confronter cette clinique en regard du basculement de la société patriarcale. Ces « choses nouvelles » sont-elles la preuve du changement de cet « ordre ancien » ? La liberté apparente des personnes s’exprime face aux références héritées et face aux multiplicités de l’identité. La société actuelle porte les marques langagières de cette diversité (racisé ou non), les marques du refus d’un ordre unique de la façon d’être (inclusivité) comme de la façon de se situer face aux problématiques de genre (LGBTQ+).
Dans ce qui apparaît comme un bouleversement plus que comme un nouvel ordre social, la psychanalyse y est un acteur central. Lacan a participé au départ à ce mouvement outre-Atlantique à ce qu’on a appelé le « post-modernisme » ou même « la French Theory » avec Foucault, Derrida et Baudrillard mais il s’en écarte très vite. Dans le séminaire XVI (1968-1969), il prend un chemin différent en anticipant dans les « événements de 1968 » le basculement d’un ordre patriarcal ancien.
Il s’agit, pour lui, de recentrer le sujet dans le social au sens d’environnement économique et pour cela d’inventer le fameux « plus-de-jouir » en référence à la plus-value marxiste. Comment cette nouvelle façon de situer les concepts de la psychanalyse a-t-elle permis à Lacan de fonder un nouveau chemin qui permet à ce mouvement de ne pas sombrer dans les écueils de la « déconstruction » ?
Nous supposons à travers la clinique que si l’instance du grand Autre semble montrer une facile adaptation, c’est plutôt du côté du petit a, objet du fantasme ou plus-de-jouir que les changements paraissent les plus importants ? Qu’en penser aujourd’hui face au choc en retour de la violence que procure l’arrivée du wokisme en France, terre de son origine.

1) Ebranlement ou chute de la société patriarcale ?

Le terme de « société patriarcale » apparaît dans les années 70 à la faveur de ce qu’on a appelé le deuxième courant féministe. « Le père est le chef de famille, il a l’autorité sur sa femme et ses enfants. Dans cette société, le pouvoir est détenu par les hommes les plus âgés considérés comme les plus expérimentés ». Les hommes y sont plus valorisés que les femmes, le masculin incarne le supérieur et l’universel. Pour Françoise Héritier à qui on demandait (peu de temps avant sa mort) : « comment voyez-vous l’avenir des femmes ? » répondait : « le modèle archaïque masculin est universel mais pas éternel, créé par l’esprit, il n’est pas biologique, il peut donc être remplacé ».
Quels supports cliniques nous permettent d’entendre les changements d’attitude concernant les conséquences du déclin de cette société patriarcale ? Nous pouvons dire que plusieurs tendances se présentent et que j’en ai sélectionné quelques-unes.
• Les sujets interrogent les références héritées notamment à travers le questionnement des origines. Cela se présente sous la forme du refus des normes hommes/femmes dans les milieux des « classes moyennes éclairées ». Pour les jeunes femmes notamment on peut classer cela comme le refus de ressembler à sa mère et le refus d’accepter les normes paternelles (père présenté souvent comme le pilier intransigeant de la famille). Le discours féministe est brandi comme une arme mais derrière, la réalité subjective montre des difficiles changements de postures. Le « chef » est « antiféministe » mais il y a une sorte de paralysie à l’affronter, ses pouvoirs n’étant pourtant si importants que ça. Un discours radical face à une construction imaginaire qui apparaît difficile à modifier, sorte de paralysie d’être dans ce nouveau monde.
• Des personnes aujourd’hui « s’autorisent » à changer de religion notamment à l’intérieur des trois monothéismes. Que dire des sujets qui passent de l’islam à la religion catholique (surtout des femmes) et des jeunes hommes qui font le chemin inverse choisissant d’épouser des femmes de confession musulmane.

Je pourrais aussi citer les discours sur le genre et ceux des « transfuges sociaux ». Le basculement des bases du contrat social sur le retour historique du refoulé (colonisation et autres) bouscule une histoire trop officielle.
On peut noter aussi l’ensemble des textes de lois qui ont suivi ou précédé ces évolutions ; mariage pour tous, PMA pour toutes les femmes, patronyme de la femme donné au mari et aux enfants. L’ouverture de nombreuses carrières aux femmes avec bénédiction des pères qui attendent quand même le garçon à la deuxième génération pour remettre les choses en ordre…

2) Les bouleversements des années 1960-1970, French Theory et plus-de-jouir

Le déclin de la société patriarcale s’est accompagné d’un phénomène qu’on a appelé le postmodernisme, puis French Theory et finalement wokisme.
De quelle façon cette querelle des valeurs pourrait-elle affectée la psychanalyse ?

a. A l’origine du post-modernisme et de la French Theory

On y trouve le congrès de Baltimore (18-21 octobre 1966) Barthes, Lacan et Derrida plus 7 autres intellectuels français sont invités à exposer leurs idées devant un public d’intellectuels américains à propos du structuralisme, Lacan n’y sera pas à l’aise, intervention confuse dont sa définition de l’inconscient : « la meilleure image pour résumer ce qu’est l’inconscient c’est Baltimore au petit matin » ne séduit pas du tout. Par contre Derrida y fait une intervention claire et brillante qui signe le démarrage du poststructuralisme pour les américains. Cela crée une dynamique autour de la « déconstruction » aux Etats Unis qui impulse une nouvelle vague « la French Theory ».
Barthes et Lacan n’ont jamais été vraiment impliqués dans la French Theory

b. La French Theory et la haine actuelle du wokisme, une violence démesurée ?

La French theory est un corpus postmoderne de théories philosophiques, littéraires et sociales où le concept de déconstruction tient une place centrale dans la ligne du poststructuralisme. A l’origine du mythe, il y aurait un exposé de Derrida contre Lévi-Strauss ouvrant la voie à la notion de « déconstruction », celle-ci va devenir à son corps défendant l’arme de destruction massive aux mains du wokisme. Il s’agit de débusquer derrière les études universitaires sur les femmes ou sur les minorités ethniques l’expression de la subjectivité de l’homme blanc.

Le concept de déconstruction a un retentissement bien au-delà des cercles académiques. Jean Baudrillard a inspiré les films Matrix, Derrida, le film de Woody Allen « Deconstructing Harry ». Ce label, pourrait-on dire a servi aussi à une nouvelle génération d’universitaires américains utilisant ce terme de déconstruction contre un système universitaire sclérosé et a donné un semblant de cohérence idéologique à leurs combats sur les genres, les minorités ethniques et le passé esclavagiste de leur nation.
Qui aurait dit qu’une dizaine de philosophes français en vogue dans les années 70 allaient être accusés 50 ans plus tard d’avoir semé les graines d’une idéologie qui menace le bon fonctionnement de l’université et même de la société. La French Theory est un objet idéologique brûlant dont la résurgence coïncide avec celle de l’épouvantail que les réactionnaires appellent le Wokisme (François Cusset, historien des idées)

c. Où en est Lacan au niveau théorisation à la veille du mouvement de 1968 et de ses conséquences, il a créé un sujet logique à la fois intemporel et actuel dans ses repères

Un grand Autre inscrit dans l’ordre symbolique, le sujet ne peut pas s’identifier à lui.
En 1955, la théorisation lacanienne reconnaît le grand Autre, le petit autre et l’autre (das andere). Pour Lacan, l’analyste doit être capable de discerner le grand autre du petit autre et doit se mettre lui-même à la place de ce grand Autre.
Le grand Autre désigne l’altérité radicale qui transcende l’altérité illusoire de l’imaginaire par ce que le sujet ne saurait l’atteindre par identification. Lacan pose l’identité de cette altérité radicale du grand Autre avec le langage et la loi. C’est par là que le grand Autre s’inscrit dans l’ordre symbolique.
L’Autre est fondamentalement ce à partir de quoi le discours se constitue (n’importe lequel justement). En présentant que le discours prend son origine non dans l’ego, ni dans le sujet mais dans l’Autre, Lacan souligne que la parole et le langage sont au-delà du contrôle conscient. En considérant l’Autre comme une sorte de lieu entraîne un certain nombre de conséquences.

Une évolution radicale pour l’objet a.
Pour l’objet a, en 1955, par opposition au grand Autre, c’est l’ego et l’image spéculaire. En 1957 apparaît l’objet du désir, c’est-à-dire ce qui est visé au-delà d’un objet particulier. Dans le séminaire de 1960-1961, le a est articulé avec le terme agalma, objet a est l’objet du désir que nous cherchons dans l’autre. Le petit a devient la cause imaginaire du désir, objet a cause du désir.
En 1962-63, dans le séminaire l’Angoisse, l’objet a devient cet étrange objet de l’angoisse, il prend alors un sens nettement symbolique non sans que Lacan lui en fasse jouer une réserve irréductible de la libido.

Un sujet constitué logiquement par les effets du langage
Le sujet, au départ, porte une division, celle de l’ego et celle du sujet de l’inconscient. L’ego est le produit de ces illusions imaginaires ou spéculaires. L’ego est produit pour se défendre contre une incohérence menaçante et pour lui substituer une cohérence de fiction. Le sujet devient la partie symbolique, tout à fait insensible et inconsciente mais réellement active pour produire l’unité. Ce sujet de l’inconscient est produit par le langage ou plus exactement par les significations du langage. Les signifiants ne sont pas produits par le sujet (quoiqu’il en pense) ils sont ce qui le constituent. Le sujet en lui ne parle pas, ça parle de lui et c’est là qu’il s’appréhende. C’est l’autre sujet imaginaire qui fonde l’autonomie.
En 1957, le sujet est barré, donc essentiellement divisé. Le Réel est un au-delà indicible du symbolique, l’Imaginaire, un en-deçà du Symbolique. Toutes les manifestations de l’Imaginaire sont explicables et déterminées par le Symbolique. L’ordre symbolique n’est ni fondé ni dans la nature ni dans le sujet. Le symbolique se rattache à l’Autre, il y a un effet d’extériorité.

3) Lacan avait saisi l’ébranlement du patriarcat en 1968 en France et avait décidé qu’il fallait théoriser autrement les bouleversements de cette époque.

C’est la révolution culturelle de 1968 qui a bousculé le modèle tout puissant du patriarche régnant en maître sur la famille et la société, les verrous sautent, les codes changent et les tabous mis au grand jour. Aujourd’hui, « on manque peut-être de repère mais pas de père, le père s’est métamorphosé, il est plus présent qu’avant, son rôle est plus complexe ».

a. C’est le retournement théorique opéré en 1968-69 qui a permis à Lacan de maintenir le courant psychanalytique à l’écart des mouvements postmodernes. Pour cela il tente difficilement le premier des 4 discours, le discours psychanalytique

La base de notre réflexion se fonde sur le séminaire XVI « d’un Autre à l’autre » 1968-1969. « De même que le travail n’est pas nouveau, la renonciation à la jouissance ne l’est pas mais il y a un discours qui l’articule cette renonciation à la jouissance et qui y fait apparaître le plus-de-jouir. Il s’agit de l’essence du discours analytique ».

Cette fonction du plus-de-jouir apparaît par le fait du discours. Elle démontre dans la renonciation à la jouissance un effet du discours lui-même. Il faut supposer qu’au champ de l’Autre, il y a le marché qui totalise les mérites, les valeurs qui assure l’organisation des choix, des préférences et implique une organisation ordinale et cardinale. Le discours détient les moyens de jouir en tant qu’il implique le sujet. Tous les discours peuvent s’entendre au champ de l’Autre, universel ou pas. Le psychanalyste lacanien peut entendre n’importe quel type de discours, le discours universel ou celui du wokisme n’est pas un empêchement à l’écoute. Le débat autour de la French Théorie ne constitue pas un problème pour la psychanalyse organisée autour du concept de grand Autre lacanien.
Il y a au marché de l’Autre ce corrélatif qu’un plus de jouir est capté par certains. Ce plus de jouir tient à l’énonciation (symbolique) qu’il est produit par le discours et qui apparaît comme effet de ce discours. Quelque soit le sujet qui le parle. Autour du plus de jouir pourtant se joue la production d’un objet essentiel sous l’effet du discours, c’est ce qui donne sa place à l’objet a. Le plus de jouir est ce qui permet d’isoler la fonction de l’objet a. Cet objet produit par l’effet logique d’un déplacement soutient aussi l’imaginaire du sujet dans la portée de l’énoncé, il est caractéristique d’une époque donnée par ses références sémantiques.
Le sujet, sous quelle forme que ce soit qu’il se produise dans sa présence, ne saurait se rejoindre dans son représentant de signifiant sans que se produise cette perte d’identité qui s’appelle à proprement l’objet a.
Quelque chose est perdu qui s’appelle le plus de jouir. Il est strictement corrélatif à l’entrée en jeu de ce qui dès lors détermine tout ce qu’il en est de la pensée.
S1 prend la place au-dessus de la barre, $ est sous la barre car il n’est pas accessible, S1→S2 qui permet à S3 d’advenir comme signifiant quelconque de la chaîne. C’est ce S3 qui peut être mis en rapport avec un objet petit a qui se fabrique dans le rapport au plus de jouir, $ barré<> a.
« Si nulle part dans l’Autre ne peut être assuré de ce qui s’appelle la vérité, c’est la fonction du a qui peut en répondre, c’est-à-dire comme de la non-jouissance, la misère, la détresse et la solitude. C’est la contre partie du a, de ce plus de jouir qui fait la cohérence du sujet en tant que moi. Il n’y a pas de prochain, si ce n’est ce creux même qui est en toi, le vide de toi-même.
Cette nouvelle articulation a permis au grand Autre, au petit autre a et au sujet d’être perméable à une multiplicité de discours au niveau du grand Autre, de donner au petit a une cohérence sociale et non comblée et au sujet d’Exister dans les nouveaux mouvements de la société.

b. Conséquences les plus importantes et conclusion

La psychanalyse freudienne traditionnelle avec la place des mères (symboligènes) et des pères (castrateurs) perd en partie son droit de cité dans cette nouvelle société.

Le mouvement féministe né avant le wokisme ne s’en tire pas trop mal, du moins une partie. Judith Butler qui a fait sa thèse en France s’est tenue à l’écart des grands mouvements de la déconstruction (elle n’a jamais cité Derrida ni Foucault) et s’en est tenue aux problématiques de genre.
Le basculement de la société patriarcale a permis un changement de la structure du sujet dans la veine lacanienne : là où je suis-je ne pense pas, là où je pense je ne suis pas. Cette grande souplesse des mouvements de la structure psychique se développe à travers la double culture, que ce soit d’origine étrangère ou des langues régionales (breton, corse, occitan), il y a toujours un double discours pour abriter le sujet.


Annick Hubert Barthélémy
Psychanalyste
Docteur en Psychologie
Membre d’Analyse Freudienne

congrès Analyse Freudienne Paris 2023

Le style Mucha

Le succès de Gismonda propulse Mucha de l’illustration à l’affiche populaire, définissant son style avec des lignes puissantes mettant en valeur la sensualité des formes féminines et des drapés. Ce style devient le symbole de l’Art nouveau, un mouvement artistique précurseur du modernisme, caractérisé par une inspiration naturelle, des entrelacs et des courbes élégantes. Mucha, bien que reniant le terme “Art nouveau”, devient un emblème de cette époque artistique à Paris.

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