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La névrose

nevrose
Si la psychanalyse est constituée avant tout comme une théorie et un traitement des névroses, nous allons à présent, essayer de définir sommairement ce qu’est une névrose, pour mieux approcher le caractère, les symptômes, les fantasmes du désir propres à chaque névrose que l’on retrouve de façon plus ou moins accentuée chez tout à chacun. Nous avons signalé combien le normal côtoie le pathologique et qu’il suffit d’un facteur anxiogène déclenchant pour se sentir névrosé plus qu’à l’ordinaire. Roland Brunner, n’hésitera pas de dire : ” nous sommes tous névrosés, et ce n’est pas une injure, car nous n’échappons pas au destin de nos pulsions et désirs puisque nous sommes soumis à notre inconscient”.

Souffrir de sa névrose, c’est ressentir des conflits psychiques qui nous portent à avoir des conduites inadaptées par rapport aux exigences ordinaires de la vie. La manifestation d’angoisse du névrosé se présente sous forme de symptômes physiques en général non guérissables par la médecine ou de grandes difficultés dans les relations avec les autres. Les actes simples deviennent compliqués, entourés de moult précautions, d’obsessions qui n’ont pas de sens vont faire souffrir l’individu sans qu’il n’y puisse rien. Il peut aussi éprouver des troubles physiques, maux de tête, troubles de la vision, paralysies partielles, obésité, anorexie etc., sans en comprendre la cause tout en étant conscient et impuissant devant ses souffrances.
Selon Freud, les névrosés souffrent du refoulement. Avec leurs troubles, ils se protègent plus ou moins efficacement des effets de ce refoulement. Un compromis est donc trouvé pour maintenir leur conflit à la baisse. Ce qui est refoulé c’est la libido qui va se transformer en angoisse et en même temps maintenir, endiguer le refoulement pour oublier ce que l’on refoule. Le but étant d’ignorer les désirs cachés de son inconscient, car il s’agit là, dans la névrose, d’une exagération de ce que nous faisons et vivons tous pour supporter notre existence. Notre difficulté de vivre à certains moments, notre mal être, se manifestent par des symptômes indéchiffrables, une angoisse sans cause précise. Comme nous sommes plus ou moins névrosés, la normalité est affaire d’équilibre entre ce qui est refoulé et admissible par la conscience. Le facteur décisif dans la névrose est le conflit psychique entre le moi et les conflits sexuels. Conflit inévitable puisque les pulsions sexuelles sont réfractaires à toute éducation, et ne visent qu’à obtenir le plaisir tandis que le moi, dominé par le souci de sécurité, se trouve soumis aux nécessités du monde réel ainsi qu’à la pression des parents et aux exigences de la civilisation qui lui imposent un idéal.

C’est à partir d’études de cas que nous éclairerons mieux notre propos.
Rappelons d’abord les trois structures névrotiques les plus courantes :

– l’hystérie,
– la névrose obsessionnelle
– la phobie

qui ne sont pas des maladies mais des souffrances exprimées par des symptômes particuliers, non guérissables par la médecine.
Par exemple, si nous prenons une vignette d’un cas de névrose obsessionnelle décrite par Freud, nous constaterons la compulsion de répétition à partir de rituels au moment de l’endormissement qui révèlent bien l’emprise de l’obsession qui fait agir étrangement la jeune fille. “L’oreiller qui se trouve à la tête du lit ne doit pas toucher le bois du lit, le petit coussin de tête doit être disposé en losange sur le grand, et la personne place sa tête en biais, l’édredon de plumes doit au préalable être secoué, de façon à ce que le côté correspondant aux pieds devienne plus épais, puis elle ne tarde pas à l’aplatir pour défaire cet épaississement”. S.Freud
Que se cache-t-il derrière tous ces rituels mis en place chaque soir ?
Les raisons en seront découvertes un jour après une difficile élaboration des souvenirs de son passé, la patiente pourra dire que l’oreiller figure la femme, la paroi verticale du lit l’homme, le pénis en érection. La jeune fille veut par son geste, séparer comme par un acte magique l’homme et la femme, c’est-à-dire empêcher ses parents d’avoir des rapports sexuels. Dans son enfance, elle avait simulé la peur pour obtenir que ses parents laissent la porte ouverte, et elle a introduit cet élément de son passé dans son cérémonial. Elle a voulu aussi épier ses parents pendant la nuit. Encore à présent elle vient se coucher entre le père et la mère dans leur lit, ou obtient, en faisant semblant d’avoir peur, que sa mère lui cède sa place auprès de son père. Gonfler l’oreiller signifie une femme devenant enceinte, ou rendue enceinte ; elle annule ensuite son geste. Le grand oreiller représente la mère, le petit la fille. Le petit oreiller figue par sa disposition en losange la forme de l’appareil génital féminin ouvert. Sa propre tête figure l’appareil sexuel masculin.

En interprétant ces symptômes dans la cure analytique, le symbolique apparaît et représente de façon figurée, imagée, ses conflits et désirs inconscients. Nous constatons que l’inconscient est ambivalent, il contient un désir et son contraire. Sous les questions de Freud, la patiente déroulera les fragments de souvenirs de son passé précoce, là où elle est restée affectivement fixée. Elle va revivre à partir de ses réminiscences, l’attirance érotique pour son père, expérience sexuelle infantile devenue névrotique, lors de sa traversée oedipienne. Ce qui fera dire à Freud que tout névrosé reste attaché par son affectivité profonde à un moment du passé lié à une expérience névrotique de la sexualité. Dans ses symptômes, le patient ne connaît pas la valeur symbolique de ceux-ci. Aucun lien n’est possible pour lui entre l’évènement de ce passé et l’acte présent. La cohérence de ces symptômes pourrait suffire pour prouver déjà l’existence de l’inconscient. Pour que les symptômes disparaissent, il est nécessaire non seulement de prendre conscience en comprenant ce qui est arrivé dans un contexte passé, mais de le revivre de façon à retourner par les affects éprouvés à ce moment là en général la petite enfance. Les symptômes sont des substituts, soit des intermédiaires qui conviennent à la personne comme actes névrotiques pour endiguer par le refoulement des pensées inavouables. Le secret est ainsi bien protégé par le conflit psychique qui le maintient.

La conclusion que nous pouvons déjà dégager pour la formation d’une névrose c’est l’importance décisive de la sexualité infantile. Rappelons que la libido va jouer un rôle majeur dans les symptômes de la névrose et nécessitera beaucoup d’énergie sous forme de défense pour maintenir cachés, refoulés, les souvenirs conflictuels.

C’est l’étude des rêves et leur interprétation qui est en réalité la voie royale de la connaissance de l’inconscient nous dira Freud. Le caractère étrange de nos rêves absurdes voir stupides ne nous encourage pas à les déchiffrer. Leurs tendances souvent impudiques et immorales pour certains d’entre eux nous répugnent. Pourtant ces rêves ne sont pas étrangers au rêveur même s’ils paraissent incompréhensibles et confus car ils ont subi une défiguration, un déguisement. L’origine psychique est très différente de leur expression donnée par le contenu manifeste du rêve. Comme pour la formation des symptômes, les idées oniriques latentes ont subi une altération, née d’une résistance d’un moi qui se défend, ne voulant pas laisser passer les désirs inconscients masqués, cachant leur sens profond. Pour nous conduire aux souvenirs oubliés, cachés derrière les symptômes, il a fallu que la patiente associe librement. Ici aussi un travail onirique sera nécessaire pour rendre cohérent un contenu si abracadabrant. Par un travail d’élaboration, elle comprendra mieux le sens caché de son désir inconscient, et déformé par ces deux processus qui le déguisent que sont la condensation et le déplacement, utiles au maintient du refoulé.
D’autres signes apparaîtront pour masquer le désir interdit, inconscient.
Les actes manqués de la vie quotidienne, les maladresses qui nous font rater notre but, les oublis multiples, les petits faits sans importance comme : tripoter ses doigts, fredonner des mélodies sont des produits de notre distraction, de notre inattention, posés ainsi comme des actes symptomatiques et de hasard, pas si dépourvus de sens que cela, faciles à interpréter si nous le souhaitons. Ce que l’on découvre alors, c’est qu’ils expriment eux aussi, des pulsions et des intentions que l’on veut cacher à sa propre conscience car ils ont leur source dans des désirs et des complexes refoulés, semblables à ceux des symptômes et des rêves. Notre vie intérieure peut être mieux connue par l’examen attentif de ces manifestations diverses.
Même chez les personnes bien portantes, les secrets intimes peuvent être découverts par l’analyse de ces substituts révélateurs à l’analyse d’un désir.
Le psychanalyste aura foi dans le déterminisme de la vie psychique en constatant qu’il n’y a rien d’arbitraire ni de fortuit. Grâce au transfert, nous pourrons ramener à la conscience les éléments psychiques pathogènes et écarter les maux produits par la formation de symptômes-substituts, soutiendra Freud.
Pour récapituler, nous dirons qu’une névrose fait apparaître un certain nombre de caractères généraux :

– La fixation à un fragment du passé constitue un trait commun à toutes les névroses.
– Une expérience névrotique de la sexualité infantile est une condition fondamentale de toute névrose.
– Partout et toujours le sens des symptômes et leur valeur symbolique sont inconnus au malade.
– Dès que les processus inconscients sont amenés à la conscience par l’échange qui se produit entre le patient et son analyste, – à condition que le patient arrive à comprendre non pas seulement intellectuellement, mais de façon vécue, le sens de ses symptômes, – ceux-ci disparaissent.

Freud accordera tout au long de son œuvre un rôle primordial au psychosexuel (désir, fantasme inconscient, vie libidinale) comme des forces en présence dans le conflit intra-psychique inconscient. Pour expliquer la cause des névroses, il conclura que les symptômes névrotiques ne se rattachent pas directement à des expériences réellement vécues, mais à « des fantasmes de désir et du complexe d’Œdipe ». Ce qui fera dire à Roland Brunner dans son ouvrage sur « la psychanalyse expliquée aux managers », que l’entrée dans les structures psychiques de base dites névrotiques, limites ou narcissiques, perverses et psychotiques dépendra de la façon plus ou moins réussie de résoudre ce passage oedipien ».
Le lien que l’on peut faire avec la posture du manager, c’est qu’il s’agit d’utiliser la parole pour faire advenir chez son interlocuteur un langage consistant, porteur de sens et d’efficacité symbolique. Pour qu’une parole vraie advienne, il y a lieu, dans la relation transférentielle à l’autre de saisir ce qui s’y joue du côté du jouir, du désir et de l’amour.
Chacun des deux interlocuteurs en face à face ont un inconscient qui va leur jouer des tours pour le meilleur dans la réussite professionnelle et pour le moins bien par la mise en place de stratégies d’échecs ou la résistance à progresser, à s’engager dans le processus de changement. L’inconscient toujours mis au travail, « il échappe à tout objectif, à tout projet de vie, à tout business plan, il ne se manage pas » nous rappellera Roland Brunner. Dans les ratages, les trébuchements, les inerties, il y aura lieu d’entendre ce qui ce dit à l’insu du sujet pourtant demandeur de progrès ou hostile à toute démarche d’évolution. Les coachs en entreprises ou organisations sont devenus les nouveaux médiateurs de la parole pour repérer l’enjeu de celle-ci, ce qui invalide, freine, perturbe le salarié dans son plan d’évolution. Ne pas tenir compte de la « réalité psychique » de son interlocuteur c’est croire que tout se maîtrise, se contrôle, sous l’effet injonctif de la volonté. C’est initier l’autre au changement sans tenir compte que le désir inconscient du sujet se donne à voir parfois dans les actes à la place de la parole. Les phénomènes de projection, d’identification, d’empathie, de transfert seront à décoder, à décrypter pour redéfinir une distance nécessaire à toute relation humaine.
Essayer d’adapter, de normaliser l’individu c’est le préparer à produire de nouveaux symptômes qui lui indiqueront qu’au bout du compte il a encore « cédé sur son désir », pris dans le désir de l’Autre qu’il croit « tout puissant » comme au temps de sa dépendance infantile. « Les facultés d’agir et de jouir de l’existence » comme disait Freud dépendent du sujet lui-même qui décidera de s’orienter vers des satisfactions véritables et pas leurrantes comme celles du symptôme.
Plus le coach, manager ou responsable sera au clair avec sa motivation mise à jour pour pratiquer l’exercice d’accompagner les hommes dans leur ascension professionnelle ou personnelle, mieux il exercera ce délicat mais passionnant métier qu’il a choisi. Cela ne va pas sans quelques notions de base sur la personnalité globale de chacun.
Dans son livre sur la psychanalyse expliquée aux managers, l’auteur voudrait lui aussi échapper aux classifications énumérées comme un catalogue basé sur la description des tempéraments : les sanguins, flegmatiques, colériques et mélancoliques, catégorisation aisée mais pas réaliste, la complexité de l’humain ne se laissant pas enfermer dans des cases. La problématique subjective dépasse, échappe à toute simplification de la personnalité que l’individu présente une structure névrotique, perverse ou psychotique, il restera toujours unique par des particularités propres et singulières.
La référence à la structure est un des impératif pour faire l’économie d’une théorie de la personnalité dira Lacan. Point de structure sans symptôme qui se résout tout entier dans une analyse du langage dont la parole doit être délivrée.

Chantal Cazzadori
Psychanalyste en libéral, à Amiens et à Paris.

Bibliographie :

– La psychanalyse expliquée aux managers aux Editions d’Organisation
– Clefs pour la psychanalyse : Georges Philippe Brabant chez Seghers
– Introduction à la psychanalyse Freud, profil philosophique chez Hatier
– Les cinq psychanalyses de S. Freud

2ème intervention : année universitaire 2009-2010 à la DEP (Direction d’Education Permanente), auprès d’un public de managers en formation diplômante, le DU en coaching.