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QU’EST CE QUE L’A(a)UTRE – Séminaire I 2022-2023

© CANYON – KATHARINA GROSSE – Fondation Louis Vuitton Presse
Texte de Robert Levy du premier séminaire 2022

Nous sommes arrivés à la fin de notre dernière année de travail à considérer qu’au fond, c’est la question de la différence, de ‘faire différence’ qui était le principal moteur et bien sûr, écueil à se représenter la place de l’Autre.
D’ailleurs, s’agit-il de l’autre avec un petit a, autre imaginaire donc, ou bien de l’autre avec un A ?
A ce sujet, celui ou celle que nous considérons ‘différent’, c’est toujours celui ou celle qui ne nous ressemble pas et pourtant sommes-nous pour autant semblables à nous-mêmes ?
Les différentes façons de procéder à une identification montrent, à quel point, cette question est peu claire ; et de plus, les nombreuses nouvelles appellations sexuées auxquelles se réfèrent les sujets sont autant de tentatives d’introduire une différence avec l’autre, les autres ou encore de maintenir un écart avec votre semblable.
Nous aurons toute l’année pour préciser cela, car c’est très important puisque cette différence est de tout autre nature s’il s’agit du A ou du petit a.
Disons, de suite, pour introduire cette différence entre le petit autre auquel on se réfère et le grand Autre introduit également par Lacan que l’un, le petit, est constitué par la projection de votre propre image alors que l’autre le grand A pourrait facilement renvoyer si ce n’est à une image divine, en tout cas à la distinction de l’imaginaire et du symbolique et sur celle du moi et du sujet .
En sachant que le moi ne peut se référer qu’au principe de la constitution des objets du monde, et de ce fait, à ceux que je considère comme mes semblables, énoncé paradigmatique de l’image spéculaire du miroir dans laquelle je me constitue : moi-même comme autre comme semblable…
Un petit rappel de ce stade du miroir qui, introduit par Lacan après Henri Wallon, et René Zazzo introduit 4 stades.
René Zazzo  mettra en évidence les quatre grandes étapes de cette description:

    • Reconnaissance de l’image de l’autre
    • L’enfant prend son image pour un autre enfant : « C’est ainsi que, dans sa 61e semaine, [l’enfant] touche, frappe, lèche son image dans le miroir, joue avec elle comme avec un comparse » ;
    • Malaise devant son reflet : L’enfant « s’en détourne [du miroir] obstinément.
    • Même jeu la semaine suivante avec une photographie sous verre, dont le petit format rend bien improbable qu’il ait pu la confondre réellement avec l’image spéculaire »;
    • Identification de l’enfant à son image.
    • Pour LACAN
    • Ce stade est formateur de la fonction du je de l’enfant âgé de 6 à 18 mois mais ce qu’il faut surtout retenir me semble-t-il, c’est que dire je sais, est déjà un mode d’opposition qui pour se constituer situe déjà le sujet comme social et en opposition à l’autre.
    • À un stade où l’enfant a déjà fait, sur le mode angoissant, l’expérience de l’absence de sa mère, le stade du miroir manifesterait la prise de conscience rassurante de l’unité corporelle et, selon Lacan, la jubilation de l’enfant au plaisir qu’il a de contempler l’image de son unité, à un moment où il ne maîtrise pas encore physiologiquement cette unité.
    • Ce vécu du morcellement corporel, et le décalage que provoque cette image spéculaire entière, permettent l’identification de l’enfant à son image, identification qui n’est qu’une anticipation imaginaire aliénante.
    • Ultérieurement, Lacan a développé un aspect important du stade du miroir, en y introduisant une réflexion sur le rôle de l’Autre. Dans l’expérience archétypique du stade du miroir, l’enfant n’est pas seul devant le miroir, il est porté par l’un de ses parents qui lui désigne, tant physiquement que verbalement, sa propre image.
    • Ce serait dans le regard et dans le dire de cet autre, tout autant que dans sa propre image, que l’enfant vérifierait son unité. En effet, l’enfant devant le miroir reconnaît tout d’abord l’autre, l’adulte à ses côtés, qui lui dit « Regarde, c’est toi ! », et ainsi l’enfant comprend « C’est moi ».
    • Nous avons déjà avec cette distinction la possibilité d’envisager avec précision la différence entre certains symptômes dont celui par exemple de la jalousie qui peut s’adresser à l’autre en tant que mon semblable ou au grand A , Autre en tant qu’il est absent comme dans les jalousies érotomaniaques .
    • Mais c’est également, dans certaines paranoïas que la question de l’autre comme ennemi n’est pas à prendre à la légère surtout lorsque la dimension du spéculaire demeure absente et renvoie le protagoniste à une référence permanente de rencontre avec dieu comme dans le cas Schreber…


Pour Lacan, ce stade est le formateur de la fonction sujet, le « je », de l’enfant âgé de 6 à 18 mois. Mais cette fonction ne peut se mettre en place que par la présence de l’autre. En effet, dire « je » indique une opposition à l’autre. Le sujet est donc social, il a besoin de l’autre pour se constituer.

Par conséquent, l’image de mon corps passe par celle imaginée dans le regard de l’autre ; ce qui fait du regard, un concept capital pour tout ce qui touche à ce que j’ai de plus cher en moi et donc de plus narcissique …
C’est ici, que le moi idéal prend sa source et sert de modèle à la constitution du moi du sujet , nous verrons tout à l’heure qu’il y a donc ‘mensonge’ ou plus exactement confusion entre l’autre imaginaire, le semblable , petit autre et le grand Autre, véritable moteur de la structure puisque trésor des signifiants …
Ce premier leurre ou mensonge va être à l’origine de la compréhension des détails constitutifs de ce que l’on appelle l’image du corps.
En résumé du stade du miroir selon Lacan :
« Tout d’abord, il contient une valeur historique car il marque un tournant décisif dans le développement intellectuel de l’enfant. D’un autre côté, il représente une relation libidinale essentielle à l’image du corps ».
Enfin, alors que pour Lacan, le miroir est une surface plane réfléchissante, pour Dolto, il est une surface psychique omni réfléchissante. C’est-à-dire que le miroir n’est pas que l’image scopique, mais peut tout aussi bien être constitutive du schéma corporel pour Dolto l’image inconsciente du corps tout comme la voix …
Ainsi, vous l’aurez compris, la lecture du séminaire de Lacan d’un Autre à l’autre est essentielle à notre repérage et nous y reviendrons certainement en permanence au cours de cette nouvelle année de travail.
En effet, c’est toute la question de l’intersubjectivité qui se trouve ici posée puisque quand Lacan introduit ce A c’est pour lui conférer la qualité de sujet authentique , celui qui peut prétendre à des rapports authentiquement subjectifs qu’il reniera plus tard dans le séminaire ‘le transfert’ pour préciser que le sujet, c’est tout de même, celui qui peut vous mentir et au fond ce grand Autre le sujet ne l’atteint jamais , il le vise … Le sujet, c’est celui qui peut vous mentir pour la simple raison qu’on ne sait jamais ce que l’on dit quand on parle et que de plus l’Autre nous renvoie à des positions inconscientes bien difficiles à objectiver.
Et peut-être, pour en dire un peu plus, on peut retrouver avec l’analysant et l’analyste une certaine forme de rapport de séparation du sujet et de l’Autre dans cette ‘réponse qu’on n’attend pas’ .
Peut-on alors envisager ce ‘sujet supposé savoir‘ comme une des formes du grand Autre A ?
Si c’est le cas c’est celui, l’analyste A qui se doit , dont c’est la fonction justement d’introduire la différence ; voire même, être la ‘pure différence ‘ ou encore la ‘différence absolue’… C’est cette notion que Lacan introduit dès le séminaire sur l’identification, et qui va se référer ensuite, de plus en plus, au désir d’analyste, dans la mesure où c’est bien ce dernier qui se doit d’introduire grâce à sa fonction le plus grand écart entre identification et objet de telle sorte que le patient puisse alors trouver ou retrouver quelque chose de sa place de sujet…
Serait-ce alors une façon de régler la question du déficit ? Dans cette introduction de la différence absolue que l’analyste doit soutenir comme écart entre l’identification, les identifications de l’analysant et le rapport qu’il entretient avec ses objets …
Pourquoi alors avoir recours à l’objet a ? Si ce n’est pour insister encore et encore sur ce fait que des objets nous n’en avons aucun ; c’est-à-dire, qu’ils sont ainsi tous disponibles pour autant que dès la plus tendre enfance le circuit de la pulsion ait été respecté dans la relation à la mère comme constitutif de ce qui n’a jamais eu de pleine satisfaction. La satisfaction rate à jamais son but puisqu’elle ne pourra jamais faire que le tour de l’objet …
C’est à ce prix que peut se constituer l’enfant lui-même comme autre, mais surtout produire autant d’objets puisqu’il n’y en a eu aucun de parfaitement satisfaisant si ce n’est ceux donc dont la pulsion peut faire le tour.
C‘est pourquoi Lacan n’introduit aucune biologie dans l’objet a mais une logique constitutive venant effectivement à la place de la biologie …
En tout cas, « Sous le masque où chacun devait rencontrer sa promise, hélas, trois fois hélas ! et cri d’horreur à y penser, une autre ayant pris la place d’elle, celui qui était là non plus, n’était pas lui.» Par conséquent, impossible de préjuger qui est qui, note Lacan.
Dès lors, nous avons d’un côté la consistance logique de l’objet a et de l’autre l’inconsistance du A .
Mais cette inconsistance du grand Autre n’est autre que son incomplétude sous la forme du manque dans l’Autre
S(A/).
Ainsi, c’est cette incomplétude du grand Autre qui nous amène à la fois à nous appuyer sur la définition selon laquelle ‘le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant‘ qui indique assez clairement que le sujet ne trouvera jamais aucun signifiant à le représenter totalement ou encore pleinement, et par conséquent, c’est la question même de la vérité qui se trouve remise en question puisqu’on ne peut donc pas toute la dire et ainsi s (A/) s de grand est barré il ne peut y avoir de garantie de la vérité, si ce n’est celle qui peut s’énoncer par morceaux au cours d’une analyse et qui n’aura d’intérêt que pour autant qu’elle se succédera à une autre et encore et encore dans le déroulé des associations de l’analysant …
Par conséquent, la différence est inhérente au signifiant lui-même dans son rapport au sujet et il n’y a peut-être pas lieu d‘aller la chercher ailleurs : dans telle ou telle représentation, sexuée puisqu’elle dépend en effet du rapport du sujet au signifiant c’est-à-dire de ce fait que le sujet soit toujours divisé.
En résumé, la différence est introduite d’un côté par le sujet en tant qu’il ne peut être que divisé en raison de son rapport au signifiant ou alors il subit les avatars de sa plénitude que l’on rencontre chez ces sujets qui ne vivent que de la certitude et de l’autre par le grand Autre en raison de son incomplétude qui, si elle ne l’était pas entraînerait les avatars de devoir incarner la vérité que l’on retrouve chez certains sujets délirants en effet quoi de plus vrai qu’un délire ?
Mais on peut revenir maintenant sur une question que j’ai posé l’an passé et qui me semble fondamentale dans notre travail de cette année.
Existerait-il une différence non déficitaire ?
Vous aurez compris que c’est toute l’actualité qui se déroule dans cette formule , en sachant que si la différence des sexes a été prise en psychanalyse comme référentiel de l’introduction de toute différence , ce n’est pas pour autant que ce soit exempt de connotations déficitaires, en particulier quand Freud évoque la constitution de la différence entre le garçon et la fille, je vous invite sur ce point à vous reporter au séminaire de l’an passé ; séminaires passés qui s’y attachent et vous verrez que loin de poser seulement ‘la différence‘, il me semble que Freud reprend les questions déficitaires de différence de genre de son époque …
Alors que Lacan accordant une importance décisive à la castration symbolique, permet avec cette thèse de séparer les plans du biologique et du psychique, du sexe et de l’identité sexuelle.
Cette distinction a aussi été mobilisée par les premiers théoriciens américains du genre (gender studies).
En tant que concept, le genre renvoie au sentiment d’appartenance à une identité masculine ou féminine socialement construite, alors que le sexe demeure une spécificité anatomique. S’il n’a pas recours à cette notion, Lacan déploie à sa manière les enjeux qui la sous-tendent ce que nous allons voir un peu plus loin.

Ce temps Freudien et Lacanien n’aurait aucune importance, si ça n’engageait pas certains psychanalystes à travailler dans ce sens et reproduire au fond la place de la femme comme ‘déficitaire’ par rapport à l’homme, dans la mesure où elle n’est construite qu’à partir de ce qui lui manque par rapport au garçon : le pénis ou encore le pénisneid qui sera sans cesse ‘attendu‘ tout au long de son existence et remplacé ou obtenu avec l’arrivée d’un enfant.
C’est pourquoi, nous aurions tout intérêt à reprendre les choses par le biais de la clinique, et en particulier, celle des dépressions post partum dans lesquelles on constate combien la question de la différence est présente bien sûr, mais présente comme différence d’avec le fantasme qui avait initié le désir de grossesse… Une différence donc inassimilable entre l’objet du fantasme et celle de la réalité.
Je ne m’étendrai pas ici plus sur cette question, mais je ferai remarquer que dans les autres formes du post partum celles dites psychoses puerpérales, c’est plus la question de l’absence de l’objet qui est en jeu, et on sait combien les pédiatres hospitaliers savent réagir très vite en fermant les fenêtres à clé lors du constat de ce type d’atteinte délirante de l’objet qui est réellement déficitaire pour le sujet.

Il me semble d’ailleurs que toutes ces revendications dites ‘féministes‘ reposent sur ce concept.
Que pouvons-nous donc faire en tant qu’analyste ? si ce n’est réfléchir à cette question que je rappelle :
Comment envisager la différence autrement qu’en termes déficitaire de l’un ou l’autre de l’équation des sexes ?
J’insiste sur la tentative de Lacan d’y apporter solution en introduisant le phallus qui permettrait une excursion hors de la binarité. Et ainsi, je souligne que dans les formules de la sexuation « être présent d’un côté » n’est pas équivalent à « être absent de l’autre côté ». Pourtant la différence, indéniable, ne permet pas de substantialiser les termes qu’elle oppose. Lacan fait du phallus le signifiant de la différence, ce qui fonde tout de même la différence autrement qu’en termes binaires. Il y a un seul signifiant, le phallus, et le phallus, ce n’est pas le sexe, il est bien plutôt « horsexe » comme l’écrit Lacan dans le séminaire Encore.
Par conséquent Lacan, avec la sexuation passe de la différence des sexes comme déficit d’un côté à la différence des sexes comme dissymétrie …
Le chemin est encore long

J’ajouterai néanmoins que ce ‘déficit’ est à la fois l’origine et la conséquence de toutes les exclusions de l’autre comme différent…
Rappelons brièvement que tous les massacres de masse ont été perpétrés à partir de la réduction de l’autre (dans sa différence) à un déficit et particulièrement un déficit d’humanité puisque tous les crimes contre l’humanité ont été précédés par un discours disqualifiant la notion d’humain chez les personnes que l’on s’apprêtait à massacrer …
Je ne crois pas qu’il y ait un seul exemple qui puisse remettre en question ce fait.
Evidemment de la différence comme déficit à la différence de l’autre comme objet d’éradication, il y a un écart en effet qui est sa mise en acte …
Pourtant dans toute guerre, sans qu’il y ait néanmoins de crime contre l’humanité ce sont les femmes qui pâtissent généralement de l’entrée des vainqueurs…
Le principe est toujours le même : l’entrée des vainqueurs se traduit par la pénétration violente des femmes puisque s’approprier le territoire de l’autre, c’est s’approprier avant tout ses femmes , voire modifier la descendance des vaincus en faisant des enfants à leurs femmes comme ce fut sciemment utilisé en ex Yougoslavie ou encore détruire la possibilité d’une descendance en abimant sciemment l’appareil de reproduction des femmes comme ce fut le cas plus récemment en RDC …
C’est une préoccupation encore très actuelle puisqu’on peut alors poser la question suivante à propos des problèmes liés à l’immigration et à l’exil : qu’est-ce qui permet de tracer un trait ?
Il y aurait matière à bien des développements et à distinguer la façon dont le discours du maître traite cette question de celle qui revient au discours analytique.
Sur le plan du signifiant, il y a au moins deux façons d’aborder cette question de la frontière. La première façon, insiste sur la ligne, le trait et l’autre insiste sur l’espace « entre ».
Alors arrivé en ce point, il y a nécessairement à revenir sur la question de ‘l’incomplétude’ à nouveau, puisque c’est bien cette ‘incomplétude’ qui se justifie dans une version de la différence des sexes dans laquelle la femme serait donc ‘incomplète‘ puisqu’elle n’a pas de pénis …
Je dirai : de même que ceux qui se trouvent au delà du trait, de la frontière .
S’approprier les femmes serait-il une façon de résoudre la question ? C’est un peu l’idée freudienne du mythe de la horde primitive dans laquelle le père de la horde s’appropriait toutes les femmes.
Doit-on pour autant se les approprier ? Ou refuser celui de l’au delà du trait ?
Non évidemment, mais les conséquences ont été et sont encore que cette différence dans l’incomplétude mette les femmes du côté d’un déficit de pénis qui les réduit bien souvent à n’être plus qu’un objet, et ceux de l’au-delà de nos frontières un humain qui ne le serait pas à part entière.
Un objet dont on se sert, un objet que l’on peut battre ou encore que l’on puisse voiler, enfermer, refouler de nos frontières et qui assurément n’a pas les mêmes droits …
Évidemment, notre question psychanalytique reste liée de façon plus profonde à celle de savoir le pourquoi et le comment d’une identification à ce type d’objet :
Pourquoi les femmes battues restent en général avec leur bourreau ? pourquoi les femmes voilées prétendent elles l’être de leur plein gré ? Ce que les récents évènements en Iran contredisent, et pourquoi certaines formes d’enfermement des femmes leur confèrent une sécurité telle qu’elles ne souhaitent pas en sortir ? s’en sortir c’est le discours de la différence du voile entre les pays où il n’est pas obligatoire et ceux où il l’est.
C’est d’ailleurs, une vraie question de direction de la cure : en quoi en effet un analyste serait-il habilité à vouloir faire changer ces différentes positions subjectives, au nom de quel projet d’une nouvelle jouissance ?
Une jouissance plus adaptée, un projet politique, une morale différente ?
Dans ces différentes figures de femmes esclaves, n’y a-t-il pas à entendre le résultat effectif d’une identification à
l’ Autre ?
Je vous propose maintenant et pour éclairer ces points, un petit détour par un remarquable article de Genevieve Fraisse que vous trouverez dans ce non moins remarquable ouvrage qui s’intitule A COTE DU GENRE Sexe et philosophie de l’égalité.
Dans cet article, Geneviève Fraisse s’interroge sur l’absence de concept philosophique de la différence des sexes.
Elle fait le constat qu’à part la littérature et la psychanalyse, il n’y a pas de discours sur le sexe dans un autre champ et en tout cas, pas en philosophie …
Elle explique que l’identité l’emporte sur tout autre discours et qu’au fond, c’est plus tôt à travers le poids de l’image et des représentations que se constituent les effets originaux sur la vie des femmes …
Mais c’est, selon elle, l’histoire des femmes qui permettrait néanmoins de s’interroger sur l’historicité de la relation entre les sexes.
D’où la difficulté suivante : « La différence des sexes n’est pas un philosophem ; aucun objet philosophique n’atteste de sa présence, de plein droit, dans les textes des philosophes ».
Alors, comment s’y prendre pour que cette ‘différence des sexes’ sorte de son champ impossible ; et surtout pourquoi la psychanalyse, qui a pourtant eu en commun avec la littérature le présupposé de l’immuabilité du rapport entre les sexes, a maintenu d’une certaine façon la certitude des éléments de leur relation ‘bref la croyance à l’anhistoricité de leur différence‘ ?
Elle fait une petite recension également de différents philosophes prônant la différence que j’appelle ‘déficitaire‘, comme Spinoza par exemple, avec cette image de quelques humains plus incapables que d’autres (le délirant, la bavarde, l’enfant).
Kierkegaard lui encore qui reconnait que la position de la femme est autre que la sienne ou même Nietzsche qui associe femme et vérité comme deux objets semblablement inaccessibles …
Quant à Schopenhauer, c’est pour la femme l’avènement de la haine et le refus de l’égalité des sexes peu enclin qu’il était donc à lui supposer un intellect…
G Fraisse montre également comment on peut nier tout autant ou encore comment on peut neutraliser la différence des sexes comme lorsque l’identité l’emporte sur la différence, et qu’elle est neutralisée ainsi au profit d’une représentation d’individu non sexué.
N’y retrouve-t-on pas ici quelques figures de nos nouvelles appellations intersexes ou encore fluide ?
Mais on peut également à l’inverse, exacerber la différence des sexes en montrant une certaine forme d’utopie porteuse d’une idéologie de la supériorité cette fois de la femme …
Effectivement, dans cette recension, on peut constater qu’il ne s’agit que de l’alternative suivante : soit l’identité, soit la différence.
Alors quelle est la formule de Geneviève Fraisse qui semble se rapprocher de la nôtre ?
« les sexes sont semblables et différents » .
N’est-ce pas une autre formulation d’une différence des sexes non déficitaire ?
Quant à la psychanalyse, G Fraisse lui suppose avoir produit l’objet ‘différence des sexes’ pour mieux en montrer l’impossibilité théorique …
Pourtant, il peut être clair que pour Freud il ne s’agit pas de cela mais au contraire de reprendre au pied de la lettre cette différence pour s’en servir comme modalité explicative de la constitution de la sexuation de la petite fille; autant il apparait tout aussi clairement qu’avec des assertions telles que ‘il n’y a pas de rapport sexuel’, la différence des sexes comme référent vole en éclat pour mieux servir, je dirai même asservir la dimension de l’impossible ou de l’impensable, c’est-à-dire, en effet d’en montrer l’impossibilité théorique…
Et, d’une certaine façon, Simone de Beauvoir avec sa formulation : ‘on ne naît pas femme, on le devient ‘ insiste sur ce même point où l’identification suppléer au manque de théorie. Le genre est dès lors un recours et on pourrait également se demander aujourd’hui si pour le garçon la même question ne se pose pas à savoir ‘comment devient-on un garçon ???? Mais je voudrais ici ouvrir une petite parenthèse qui pourrait s’énoncer ainsi : après tout ne pourrait-on pas dire également ceci de tout corps ? N’est-il pas toujours question et ce, tout au long de la vie de pouvoir devenir notre propre corps ? c’est-à-dire réduire l’écart entre ce que je pense de mon corps et celui que je voie. Ce qui nous ramène évidemment au stade du miroir pour lequel on peut se demander si la reconnaissance de l’autre dans le miroir en finit un jour ?
Un patient me disait récemment qu’il avait besoin d’inscrire un tatouage sur son corps pour pouvoir se l’approprier autrement que par le prénom qui lui avait été donné …

13Le séminaire L’identification, au-delà du programme an 13
Le séminaire L’identification, au-delà du programme annoncé par l’intitulé, ouvre sur cette dimension essentielle qui est ce qui fait identité. Celle-ci est ici à considérer non pas dans le sens d’appartenance à un groupe ou à une communauté, mais dans ce qui fonde l’unicité du sujet, sa substance. L’identité est ici conçue comme l’os du sujet. Notons d’abord que l’identification et l’identité ont une racine commune, idem, soit le même, et en même temps c’est ce qui fonde leur divergence. L’identification consiste à faire le même à partir de l’Autre, au point que l’identification, même si elle est toujours partielle, peut être réussie ; l’effet, c’est de faire comme l’Autre.
Il est à remarquer également que la langue est importante puisqu’en Français le même mot ‘genre’ désigne deux éléments différents, l’un universel le ‘genre humain’ qui se passe de sexuation et le ‘genre de la différence des sexes’ le particulier, donc qui renvoie à deux genres sexués dans lesquels comme notre grammaire l’indique ‘le masculin l’emporte sur le féminin’. On notera ici le glissement permanent de l’universel au particulier qui représente le discours général de la différence des sexes.
C’est un fait LA femme N’existe pas car elle ne fait pas universel comme Lacan l’énonce …
Loin d’être un propos sexiste, c’est dans ce contexte des années féministes de 1970 que Lacan forge ce concept « La femme n’existe pas ».

Ce qui est une façon très claire et définitive de se situer hors du modèle naturaliste de Freud.
Pour lui, l’identité sexuelle est établie par la castration symbolique et non par l’anatomie.
Est-ce un Déni flagrant de la réalité ? Ou encore une Attaque à caractère machiste ? Le Rejet de l’idée d’une essence de la femme ?
Assurément, la troisième piste est la bonne.
Énoncée au début des années 1970, dans un contexte marqué par l’essor des mouvements féministes, la formule de Jacques Lacan condense ses réflexions psychanalytiques sur la différence des sexes.
Pour comprendre sa position développée dans les livres XVIII et XX de son Séminaire ‘Un discours qui ne serait pas du semblant’, et encore, il faut donc revenir à Freud, selon lequel « l’anatomie, c’est le destin » puisque Freud pense que l’organisation psychique des individus est déterminée par leur sexe biologique – garçon ou fille.
Lacan, quant à lui, cherche à s’émanciper de ce modèle naturaliste : l’identité sexuelle n’est pas tant le fruit de l’anatomie que le produit de mécanismes inconscients d’identification.
C’est ici encore que l’on peut discuter sur les jeux de qualification, d’identification donc aux catégories d’exclus, regroupements réels et imaginaires analogies donc des regroupements et des situations qui contribuent à la représentation de la différence des sexes
En d’autres termes, tout sujet se constitue en s’orientant soit vers le pôle masculin, soit vers le pôle féminin, au terme d’un processus auquel Lacan donne le nom de « sexuation ».
Il s’agit d’adopter un rôle qui a son fondement dans l’ordre du langage. De ce point de vue, la différence entre les « signifiants » homme et femme est radicale.
Le concept clé qui rend compte de cette césure est le complexe de castration, lequel revêt une dimension symbolique et non réelle. Faisons remarquer à ce sujet ce que nous avions déjà souligné l’année dernière à savoir que le terme de ‘castration’ avait bien du mal à s’extraire de son signifié anatomique …
Du côté homme, tous les membres sont sujets à la castration, en proie à l’angoisse d’être privés des attributs supposés de la virilité. Tous sauf un, le Père qui, en psychanalyse, incarne le fantasme d’une possession exclusive des femmes et représente la loi. Soustrait à la castration, il est l’exception qui fonde la règle applicable à la sexuation des hommes.
Or, du côté femme, il n’y a pas d’exception analogue : aucune femme n’est pas castrée… et aucune ne l’est, d’ailleurs !  Par conséquent, on ne trouve pas de caractérisation inconsciente suffisamment englobante pour pouvoir parler d’une essence générale, universelle donc de la femme. Une vraie dissymétrie donc…
C’est le sens de la phrase de Lacan, avec l’emploi de l’article défini censé désigner l’universel.
Les femmes existent bel et bien, néanmoins elles sont toujours singulières et irréductiblement autres.
Mais cet « irréductiblement autres » entraine quelques avatars puisque comme l’indique très justement Geneviève Fraisse « la femme en effet n’est jamais pensée seule : amis en émancipation ou frères en servitude, d’autres l’entourent dans le discours , les enfants , les fous , les esclaves , les ouvriers , les juifs , ,les colonisés, les bêtes »j’ajouterai volontiers à cette liste : tous ceux qui se trouvent au-delà de la frontière …
C’est donc invariablement le retour à l’autre déficitaire de la différence et ainsi la différence des sexes par Aristote est associée à la couleur de peau et par Kant c’’est un savant nouage de la femme avec les serviteurs, les enfants, le sexe, la race et le peuple …
Donc invariablement la différence représentée par la femme est déficitaire …
Rien d’étonnant alors à ce que les militantes sautent à pieds joints sur la question et revendiquent une plus juste répartition de la différence qui ne peut effectivement que passer par les dénonciations dont me too par exemple se fait à la fois l’initiateur et la caisse de résonnance.
La résonnance de quoi, si ce n’est celle d’indiquer clairement que l’ère du déficit que l’on peut utiliser, ‘jouir’ donc sans son consentement est révolu …
Évidemment, on ne peut qu’adhérer totalement à cette vague de revendication au droit à disposer de soi et à devenir un sujet politique et social à ‘part entière’. Avec tout de même, une question quant à la dimension de marginalisation du droit que cela représente puisqu’on passe de la réception du témoignage et de son appréciation envisagée dans les arcanes de notre code civil au témoignage comme vérité …
C’est toute la dimension de l’approche de la notion de ‘consentement‘ que nous avons déjà traité qui se trouve ici mise en avant sans qu’elle ne soit traitée …
C’est le signifiant qui me semble le plus approprié en effet un sujet ‘à part entière‘.
Mais on pourrait dire également à être un sujet divisé comme tout autre … En effet, un sujet divisé et déficitaire n’est pas du tout équivalent …
Ceci nous invite à réfléchir alors à la question de savoir maintenant si jouir de l’autre n’est pas toujours le, la, considérer comme déficitaire ?

Robert Levy
Psychanalyste à Paris
Fondateur de l’association Analyse Freudienne

1) RENE ZAZZO image spéculaire et image anti-spéculaire, Enfance, 1977, 30-2-4, pp.223-230 Zazzo R., Image spéculaire et image anti-spéculaire, Enfance, 1977, 30-2-4, pp.
2) Dylan Evans, An Introductory Dictionary of Lacanian Psychoanalysis, 1996
3) LACAN Le Moi P.288
4) J. LACAN, « La chose freudienne » in Ecrits, Seuil, 1966, p.413.
5) PUF Mars 2022 en particulier ‘la différence des sexes une différence historique P.145 à 167
6) G Fraisse opus cité P.146
7) ETHIQUE III , 2 cité par G Fraisse P.148
8) opus P.153
9) LUIS IZCOVITCH Le désir de l’analyste et la différence absolue [*] Luis Izcovich
Dans L’en-je lacanien 2013/1 (n° 20), pages 95 à 108
Le désir de l’analyste et la différence absolue [*] Luis Izcovich
Dans L’en-je lacanien 2013/1 (n° 20), pages 95 à 108
10) OPUS DEJA CITE P.157 158