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QUID DE L’ OBSESSIONNEL : discours et/ou structure ?

Rappelons-nous d’abord : qu’est-ce qu’une névrose version Lacan et Freud ?

Le névrosé est aux prises avec l’Autre, pas seulement son alter ego, le petit autre, mais le grand Autre, celui du langage. L’enfant, se construit dans la langue maternelle qui lui est propre, le langage est fait de lalangue, c’est une élucubration de savoir sur la langue.

Le problème de la relation avec l’Autre, c’est que l’Autre n’existe pas. Sur le versant signifiant, il est le lieu du signifiant, du trésor des signifiants. Il est l’Autre du savoir et une instance de vérité. Ainsi la langue est empreinte de la langue maternelle qui nous affecte; elle contient des bribes de celle-ci. C’est donc à partir de cette langue maternelle, que le bébé va apprendre la vie avec les mots de l’Autre qui feront vérité. Ainsi, il va imaginer, symboliser ce qu’il voit, entend, subi, ressent, désire etc… avec les mots qu’on lui aura donnés, jour après jour, instant après instant, faisant face aussi à la vacuité des non-dits. De plus, cette lalangue est non seulement quelque chose de plus privée, propre à chacun, mais c’est aussi ce qui, à notre insu, aura des effets sur notre corps. On peut parler d’un Autre du corps. Ce qui ne pourra se dire, sera somatisé par exemple. Il est un fait que dans notre culture le savoir et la vérité sont disjoints. Dans la relation transférentielle, l’analysant s’aperçoit au bout d’un certain temps, que ce savoir est un savoir supposé chez l’analyste en premier lieu. Le problème, c’est que le névrosé suppose tout d’abord un savoir chez l’Autre, mais en plus il pense être joui par l’Autre, oui, il pense que, de ce savoir l’Autre jouit. Là, dans cette supposition la névrose s’installe, c’est-à-dire que pour le névrosé, c’est l’Autre qui demande, c’est l’Autre qui désire. En effet, la supposition est le propre de la névrose. Or, comme l’Autre n’existe pas, le sujet va le faire exister dans le transfert qui va constituer pour lui une dépense pour le faire exister, ce sera le lieu de son sacrifice permanent. Ce mode névrotique vécu dans le transfert analytique peut s’organiser ailleurs, collectivement via les religions, les grandes causes, ou se manifester plus individuellement. Le but étant de croire et de faire exister ce grand Autre.

img_6397Comment le névrosé procède-t-il alors, pour construire son fantasme, sa fantaisie ?

Pour le faire exister ce grand Autre, il va virer ce qui n’est pas symbolisable dans son ressenti, ce reste que Lacan a nommé l’objet petit a, or cet objet a, ce reste, le sujet le mettra au compte de l’Autre, et il fera ainsi de cet objet la cause de son désir, avec quoi il construira son fantasme. Puisque tout n’est pas symbolisable, ce reste, dit objet a, laissé au compte de l’Autre lui permettra de s’en séparer mais pas seulement ! Cet objet paradoxal, resté chez l’Autre, lui permettra également, de ne pas être lui-même cet objet. Or, les névrosés sont des « mal » séparés .
Alain Vanier poursuivra ainsi : « le désir qui est le propre du névrosé, ce désir est une défense contre la jouissance, une défense contre le réel. Il ne vise pas un objet dont il pourrait jouir ; bien au contraire, la stratégie du névrosé, c’est de tenter de résoudre ce désir en demande : soit il demande cet objet supposé chez l’Autre, soit il pense qu’on lui demande de régler la dette ou le prix d’une jouissance ». (1)
Autrement dit : « Le névrosé, c’est quelqu’un qui n’arrive pas à ce qui pour lui est le mirage où il trouverait à se satisfaire, à savoir une perversion : une névrose, c’est une perversion ratée. »
Sauf que cette jouissance, qu’il veut tenir à distance, est bordée par l’angoisse, ce qui le rend anxieux. Et Lacan, précisera, qu’il existe aussi un Autre, différent du lieu du langage, c’est l’Autre du corps, il dira : « on ne peut rien en faire, à part le mettre en morceaux ». Et pourtant c’est bien avec le corps qu’on jouit.
Pour l’obsessionnel qui fabrique de la culpabilité avec son angoisse, il ne peut oublier sa jouissance prise sur l’Autre, avec l’Autre du corps, à commencer par la toute première suivie de tant d’autres jouissances. Le problème pour l’obsessionnel c’est qu’il ne parvient pas à les oublier. Freud souligne qu’il connaît ses traumas, mais ignore leur valeur. La culpabilité va venir alors l’embarrasser, le tyranniser par l’instance surmoïque au déclin du complexe d’Œdipe.

img_6396Quelques différences entre hystérie et névrose obsessionnelle :

Contrairement à l’hystérique, indifférent à son symptôme, l’obsessionnel en souffre. Le refoulement a échoué dans ce type de névrose, là l’hystérique oublie par la conversion de l’affect dans son corps ce qui la perturbe réellement, l’obsessionnel va multiplier ses défenses pour maintenir le refoulé vaille que vaille, toujours prêt à jaillir, ce qui va l’épuiser. Pour tenter d’isoler la représentation refoulée, détachée de son affect, il sera dans l’excès de bonté, gentillesse, sollicitude etc. Plus abstrait que l’hystérique, il ne présente pas d’affect, dit ne rien ressentir, la pensée reste son champ d’érotisation. La psychiatrie moderne parle de troubles obsessionnels compulsifs appelés couramment des TOC.

Son fantasme « s’organise autour de sa propre élimination au profit d’un Autre tout-puissant dont il n’est que le déchet » Chawki Azouri (2)

Autant l’hystérique va élaborer un compromis entre des tendances contradictoires en construisant un symptôme qui lui permettra une satisfaction érotique, une jouissance dans la somatisation, autant l’obsessionnel contournera, éludera ses tendances contradictoires. Ainsi le doute s’installe, avec ses actes compulsifs qui vont augmenter successivement la tension d’une jouissance, ce qui ne résoudra rien d’ailleurs. C’est la folie du doute, cette deuxième névrose, après l’hystérie, que Freud a nommé Zwangsneurose, névrose obsessionnelle.

Sur le plan pulsionnel, quelles sont donc les pulsions qui vont intéresser les morceaux du corps chez l’obsessionnel ?

Selon Freud, deux pulsions issues du corps, celle de regarder et du savoir, vont prendre les formes particulières de l’objet a , ensuite chez Lacan. La deuxième en action, concerne la pulsion anale, ces pulsions mettent en jeu un objet externe.
Rappelez-vous, l’enfant plaqué, collé à la mamelle, croit que l’objet partiel, le sein c’est l’Autre. Dans ce temps premier, de son développement psychique, le nourrisson est en demande de l’objet (sein) dit objet oral. Durant son évolution, il traverse ainsi le stade dit oral de sa naissance à 18 mois. Or, dans un deuxième temps, de 18 mois à 3 ans, en abordant la phase anale, le petit homme pourra dit oui ou non, à la demande de l’Autre cette fois. C’est donc qu’il peut se reconnaître comme objet lui aussi subjectivé, voire consistant. La demande du stade oral partait de lui, aliéné au désir de la mère dont il dépend, il avait ce besoin de téter qui deviendra pour lui aussi un désir. Le trio : demande, besoin, désir est établi sous l’effet de la pulsion orale d’abord, puis anale. La demande du stade anal vient cette fois de la mère, de l’Autre, avec ses mots à elle, ses signifiants et c’est lui, l’enfant qui va décider si oui ou non il y répond et comment, il découvre là, un certain pouvoir sur l’Autre.

img_6412Qu’elle est alors la difficulté de l’obsessionnel à ce stade anal ?

L’objet qu’il va pouvoir donner et retenir, c’est l’étron qui se trouve à l’intérieur de son corps. Mais cette demande comme don est ambiguë, puisque le nourrisson peut maintenant se reconnaître, pour la première fois, dans un objet, l’objet anal, subjectivé par la demande de l’Autre, la mère. Et cette demande de la mère – c’est la difficulté de l’obsessionnel – commande à la fois de retenir et de donner. L’objet à donner ou à refuser prend une valeur d’une partie du corps puisqu’il est à l’intérieur de celui-ci. L’ambiguïté vient du fait que l’enfant n’est pas si tôt regardé, admiré qu’il peut être déjà rejeté. La mère lui demande de faire ce don et le reconnaît ainsi mais pas seulement puisqu’elle peut le rejeter après l’avoir admiré. C’est cette reconnaissance particulière qui peut déjà expliquer le doute, l’hésitation, l’incertitude constante du sujet, avant même de passer par le 3ème stade dit phallique via l’Œdipe (de 3 ans à 7 ans). Cet objet du stade anal – fèces, excréments – symbolise, incarne le phallus de la phase suivante.

img_6416L’objet anal à la phase phallique que représente-t-il ?

Le phallus comme nous le disions précédemment est incarné par cet objet – fèces, excréments- va apparaître, disparaître, là , pas là. Il y a donc impossibilité de se satisfaire en croyant le posséder, soit, avoir le phallus puisque l’objet anal image la perte du phallus en n’étant pas toujours là. Cependant, chacun traverse la période œdipienne, qui consiste à être ou pas le phallus de la mère, l’avoir ou pas l’avoir, un jeu de pouvoir que le père devra orchestrer par l’interdit de l’inceste, qu’il posera du côté de sa femme par un discours comme : « Tu ne réintégreras pas ton produit », et du côté de l’enfant, par un dire que NON, « tu n’es pas le phallus de ta mère, car c’est ma femme, il t’es donc interdit d’en jouir, sous peine de menace de la castration. » Sauf que, le passage au niveau phallique, ce lien à « l’être ou pas, l’avoir ou pas », va lui permettre de contourner le phallus. Comme cet objet -fèces, excréments- symbolise, incarne merveilleusement le phallus, dans son effet d’apparition et de disparition, le sujet est confronté à l’impossibilité de se satisfaire au niveau phallique, l’objet anal vient faire bouchon, puisqu’il image la perte du phallus.
Comme l’objet anal va le représenter comme sujet, l’obsessionnel construit l’idée d’un don dans l’acte génital ensuite.
Lacan relève, à ce propos, que la fantaisie de la relation génitale, comme don est obsessionnelle.
Il, l’obsessionnel « engage l’excrément de lui dans l’amour » et l’envers de la merde, c’est l’idéalisation. C’est la double polarité de la valeur de cet objet. Cette idéalisation se figure comme dieu, en tant qu’ «omnivoyant », œil qui contrôle, observe toutes nos actions. D’où les dédoublements du névrosé, déjà relevés par Freud, par exemple entre la femme idéalisée, qu’on ne touche pas ou plus, et la femme ravalée.
Un petit rappel : le phallus imaginaire n’est pas le père, quelque chose a dérapé au niveau de la métaphore paternelle, qui n’a pas pu, su ou voulu poser le dire que Non, de l’interdit de l’inceste. Il y a une certaine carence du père qui accentue la dimension imaginaire. Le père se présente au centre de la névrose obsessionnelle qu’il lui faudra tuer, (symboliquement) c’est inscrit dans notre culture. L’obsessionnel découvre un père qui jouit mais qui a failli au niveau de son désir. « Ce père que l’obsessionnel doit maintenir vivant en permanence est un père qui parle, qui jouit, et qui nourrit son interrogation perpétuelle sur son désir et sa jouissance. Or, précisément, l’obsessionnel voudrait réduire le père au signifiant, en faire un père symbolique, parce qu’il y a pour lui un défaut de garantie de la loi, il a constamment peur qu’elle défaille. D’où le recours si fréquent à la religion, … » (3)
Dans le couple souvent répandu de l’hystérique et de l’obsessionnel, c’est l’hystérique qui cherche un maître, l’obsessionnel lui ne se prend pas pour un maître, bien qu’on puisse le prendre pour tel. Ce qu’il rencontre chez l’hystérique, c’est cette jouissance énigmatique qui le fascine et qu’il voudrait pouvoir maîtriser. Il s’y épuisera vite, et son empêchement figurera sa castration. Il pensera : ce qu’elle veut c’est le phallus, donc il règlera l’angoisse de son désir en se rabattant sur la demande, en entretenant cette confusion entre demande et désir. Du « que veut-il ? » » (Il s’agit là du désir, qu’est-ce que je veux ?), il va le transformer en « que me veut-il ? » (Qu’est-ce qu’elle ou qu’il me veut, puisque la névrose obsessionnelle n’est pas que masculine). Il s’agit donc de transformer la question en demande. Il va fomenter la figure d’un maître qui sache ce qu’il veut, c’est-à-dire un Père idéal. C’est du côté du surmoi comme versant de l’idéal, que le père dit « Jouis ! » ce qui est impossible à satisfaire aux termes de la conscience morale.

img_6411Retournons au descriptif de la névrose obsessionnelle qui est une forme majeure de névrose dégagée par S. Freud en 1894, et faisons un peu l’histoire du concept :

« La névrose de contrainte est avec l’hystérie, la deuxième grande maladie nerveuse de la classe des névroses selon la doctrine psychanalytique. Elle a pour origine un conflit psychique infantile et une étiologie sexuelle caractérisée par une fixation de la libido au stade anal. Sur le plan clinique, elle se manifeste par des rites conjuratoires de type religieux, par des symptômes obsédants et par une permanente rumination mentale où interviennent des doutes et des scrupules inhibants la pensée et l’action. » (4)
Déjà, l’aliéniste français Jules Falret (1824-1902) introduisit le terme obsession pour souligner le phénomène d’emprise par lequel un sujet est assiégé par des idées pathologiques, par une faute qui le traque et l’obsède au point de faire de lui un mort vivant. Le mot Zwang, choisit par Richard von Krafft-Ebing, renvoie à une idée de contrainte et de compulsion : le sujet s’oblige à agir et à penser contre sa volonté. C’est Freud qui lui donnera un statut de névrose et un contenu théorique. Si on remonte un peu dans l’histoire, l’hystérie est connue depuis l’Antiquité plutôt comme des phénomènes de possession et de division entre l’âme et le corps. Chez l’hystérique, la possession est davantage somnambulique, passive, inconsciente et « féminine » : c’est le diable qui s’empare d’un corps de femme pour le torturer. Chez l’obsessionnel, au contraire la possession est active et « masculine » : c’est le sujet lui-même qui est torturé intérieurement par une force diabolique tout en restant lucide sur son état. Les différences concernent le féminin, le masculin, l’actif et le passif, le corps convulsif et la conscience coupable. Freud le précisera dans sa correspondance avec son ami Wilhelm Fliess en octobre 1895 :

« Imagine, je flaire entre autres le conditionnement étroit qui suit : pour l’hystérique, qu’une expérience sexuelle primaire (avant la puberté) a eu lieu avec dégoût et effroi, pour la névrose obsessionnelle qu’elle a eu lieu avec plaisir (…). L’hystérie est la suite d’un effroi présexuel. La névrose obsessionnelle est la suite d’un plaisir sexuel, présexuel qui se transforme ensuite en reproche. La sexualité des filles se déroule sous le signe de la passivité et de l’effroi, celle des garçons sous le signe d’un plaisir actif vécu comme un péché. »

Après avoir abandonné la théorie de la séduction, Freud reviendra sur la question de la névrose obsessionnelle en 1907, avec l’histoire d’un malade atteint de cette névrose : Ernst Lanzer, devenu célèbre sous le nom de l’Homme aux rats. En 1905, dans « Trois essais sur la théorie sexuelle », Freud mettra en évidence la sexualité infantile, la perversion « polymorphe et l’érotisme anal, qui vont susciter une formidable hostilité de la part des adversaires de la psychanalyse, d’où l’accusation de pansexualisme porté contre Freud.
Entre 1907 et 1926, il va transformer sa conception de la Névrose obsessionnelle. Il constate que l’érotisme anal domine dans l’organisation sexuelle de l’obsessionnel, et cette analité est également présente dans les « exercices religieux ». Les rituels propres à la religion sont porteurs de sens, tandis que le cérémonial de l’obsession ne répond qu’à une signification névrotique. La névrose obsessionnelle relèverait alors d’une religion individuelle et la religion d’une obsession universelle. En 1907, dans sa correspondance avec Gustave Yung, il se peint lui-même sous les traits d’un obsessionnel et regarde son dauphin comme un hystérique.
En 1913, il reprend cette thématique en comparant l’hystérie, comme un langage pictural, à la paranoïa, regardée comme une philosophie ratée, et la névrose de contrainte placée elle, sous le signe de la religion. Cependant, l’obsession est également à mettre en relation avec une régression de la vie sexuelle à un stade anal ayant pour corollaire un sentiment de haine avant l’amour, qui structure l’ensemble des relations entre les hommes et les obligeant à se défendre contre elle par l’élaboration d’une morale.
En 1926, dans Inhibition, symptôme et angoisse, cette théorie est remaniée à la lumière de la deuxième topique et de la notion de pulsion de mort. « Le déclencheur de la névrose obsessionnelle est alors caractérisé comme la peur du moi d’être puni par le surmoi ». Cette instance surmoïque est féroce, cruelle, ressemblant à un juge sévère et rigide. L’autre instance, le moi, coincé entre le surmoi et le ça (l’inconscient), est alors contraint de résister aux pulsions destructrices du ça. En conséquence, des formations réactionnelles telles que les sentiments de scrupule, de pitié, de propreté, de culpabilité se manifestent. L’enfer du devoir plonge le sujet dans un monde obsédant et contraignant dont il ne parvient jamais à s’extirper, s’il ne passe pas par les fourches de la castration via l’analyse me semble-t-il !

img_6384Le rapport à la culture patriarcale et judéo-chrétienne auraient-elles à voir avec cet enfer du devoir ?

Freud va vanter les faiblesses et les mérites de ce système institutionnel patriarcal et judéo-chrétien. Dans ses analyses de l’Homme aux rats et de Totem et Tabou, il fait un rapprochement entre les progrès de la Science et de la Raison et l’avènement du patriarcat. Le freudisme serait comme une expression de cette science et de cette raison qui pourrait servir de rempart aux diverses tentatives d’abolition de la famille et à l’inéluctable déclin du père dans notre société occidentale du XXème siècle.
Enfin en 1938, juste avant sa mort, (23/09/1939 Freud avait 83 ans), il mène parallèlement sur la religion et la logique de la structure obsessionnelle une recherche pour mettre en lumière, l’ambivalence de l’amour et de la haine, à partir de son écrit : l’Homme Moïse et la religion monothéiste, symptomatique à ses yeux de la « relation au père ». On est renvoyé à la fonction de l’interdit de l’inceste tenue par le père dans le monde judéo-chrétien.
Elisabeth Roudinesco, dans sa présentation sur la névrose obsessionnelle parue dans le dictionnaire de la psychanalyse, conclura ainsi : « au même titre que l’hystérie, la névrose obsessionnelle est donc corrélative à l’histoire de la psychanalyse dans sa tentative clinique et anthropologique d’apporter une réponse à l’énigme de la différence des sexes et à l’organisation de la famille et des sociétés. (5)
A partir de Freud on rappellera le caractère patrocentrique de la religion judéo-chrétienne, fondée sur l’amour du Père et le refoulement des pensées ou sentiments qui lui sont hostiles. On peut comparer aussi l’exercice religieux et le rituel obsessionnel, assimilant ce dernier à « une religion privée ». En postulant notre filiation avec celui qui se tiendrait dans le réel (une catégorie dont l’approche suscite angoisse et effroi), la religion tend à l’apprivoiser. Il n’est pas excessif de dire que la religion – lien sacré – est une opération de symbolisation du réel. Le style obsessionnel se décrit ainsi : le refus de se détacher et de grandir, de franchir les étapes, de terminer des études, voire la cure analytique. Une telle accession comporterait, en effet, le risque de s’égaler à l’idéal et ainsi, en le détruisant, de compromettre le maintient de la vie. (6)

img_6408Le désir de l’obsessionnel vu par Lacan

En 1978, Lacan déclarait qu’il n’était pas très sûr que la névrose hystérique existerait toujours, mais sûrement celle que l’on appelle névrose obsessionnelle persisterait puisqu’ il suffit de penser. Le symptôme obsessionnel est la « pensée dont l’âme s’embarrasse, ne sait que faire ». (7) Les idées incidentes formulées sur un mode impérieux de caractère souvent obscène, scatologique, injurieux voir assassin, lui pourrissent la vie en envahissant sa tête ainsi obsédée. Ce qui va dominer chez l’obsessionnel, c’est sa dépendance à l’Autre qu’il cherche à détruire, en même temps qu’il s’emploie à le soutenir dans la mesure où l’Autre est le support même de ce désir de destruction.
Michel Bousseyroux, écrit dans son article « Le doigt levé de Lacan, face au désir de l’obsessionnel » chez Cairn, « Dès qu’il s’agit de désir, pour l’obsessionnel, Delenda est à l’horizon, mais cette destruction est toujours interdite par l’Autre. D’où le côté camouflé, « mis à gauche », de « contrebande » d’un désir qui se balance « sur l’escarpolette » entre agression et disparition, mais reste fondamentalement euthanasique. Lacan poursuivra : « le désir de l’obsessionnel reste donc frappé de cette marque qui fait que toute approche le fait s’évanouir ». L’obsessionnel ne tient pas à distance l’objet, mais le désir, c’est un désir réduit à zéro. Un point mort du désir. Rappelons-nous que l’hystérique, comme le montre le rêve de la Belle Bouchère, se fait l’enjeu du désir de désir de l’Autre, l’obsessionnel reste hors du jeu. Là où il risque le coup, apparemment, ce n’est pas là qu’il est. C’est toujours pour demain que l’obsessionnel réserve l’engagement de son véritable désir. D’où la difficulté de diriger une cure vers l’aveu du désir, puisque pour lui le désir est désir de difficulté !

Entre hystérie et Obsession

Écoutez-nous diront les hystériques à Freud, car « ce dont nous souffrons se dit dans nos paroles, nous ne savons pas ce que nous disons, mais nous savons que nous le disons, et qu’à travers nos paroles, notre inconscient vient se dire. » (8)
Ainsi comme l’écrit Philippe Woloszko dans son séminaire à Metz : « L’hystérie apparaît dès le départ comme la voie royale de la psychanalyse. C’est-à-dire que la théorie et la pratique de la psychanalyse sont fondées sur le discours des hystériques »
Les hystériques poussent à faire entendre quoi ? Ce qui est donné à entendre, c’est le désir, désir inconscient. Ce qui différencie l’hystérique des autres névroses, c’est qu’il s’agit ici du désir en tant que désir de désir. C’est cela qui rend l’hystérie particulièrement actuelle, dans ce monde moderne qui propose des objets pour satisfaire au désir, pour accéder à la jouissance. Le désir de désir s’oppose au désir de l’objet. Quand on parle de désir de désir, il s’agit d’un désir signifié par un autre désir. Dans le rêve de la belle bouchère, Freud montre que le désir insatisfait maintient le désir. Ainsi, l’hystérique dira « ce n’est pas ça ! Il n’y pas de réponse satisfaisante à mon désir qu’un autre désir ». Une autre forme de désir se joue dans l’identification hystérique : le sujet se saisit d’un trait de désir afin d’y situer le sien. Freud a bien repéré ce mécanisme dans les pensionnats de jeunes filles, ce qui se voit aujourd’hui lors des hystéries collectives. Donc, le désir de l’hystérique n’est pas le désir d’un objet, mais un désir de désir. L’objet n’a aucune importance, ce qu’il lui faut maintenir c’est le désir du désir de l’Autre.
A l’inverse, pour l’obsessionnel le désir est un désir de retenir (ou son opposé de lâcher). Pour l’obsessionnel, le désir de l’Autre est d’emblée source d’angoisse. De plus, l’obsessionnel est encombré par la jouissance, envahit par elle, il ne sait pas différencier la jouissance du désir. Par exemple, lors d’une séparation, il est dans l’incapacité de savoir si sa douleur est celle de la perte d’un objet dont il jouit ou celle de son désir en souffrance. D’autre part, pour supporter son désir, il lui faudra alors faire entrer en jeu un autre désir : « dis-moi que tu me désires pour que je puisse te désirer ». Ceci permet d’entendre, que le sujet obsessionnel désire retenir l’objet, l’autre, qui l’autorise à son désir. Le désir de l’Autre est réduit à un autre désir, et ne se présente pas chez le sujet obsessionnel, comme le fondement de son désir. Au désir de l’Autre est substitué un autre désir dont la fonction est de l’autoriser à son désir. Dans la clinique, ça donne ceci : Cet homme qui dit à sa femme : « Je ne peux avoir du désir pour toi que si d’abord tu me montres que tu as du désir pour moi ». Ce que l’on peut entendre comme : « Tu me montres que c’est moi qui a le phallus, ce qui me permet pour l’acte sexuel de ne pas l’Etre, et ainsi de ne pas être châtré ». (8)

img_6402Finissons cette conférence par une note d’humour :

« La névrose obsessionnelle, c’est Monsieur Propre ». Elle est également appelée névrose de contrainte. En effet, le sujet est envahi par la rigidité contraignante de ses défenses, du fait du fort conflit à camoufler entre désir libidinal et désir de destructivité (la fameuse dyade amour/haine). Le sujet essaie donc de laver ses pensées sales, de les jeter, de trier ses autres pensées. Il s’en lave les mains, de ses pensées qui le font chier… C’est du propre, tout ça…
Malheureusement, la névrose obsessionnelle a disparu, pas dans la réalité, mais dans le DSM-IV
(Comme tout ce qui concerne le champ psychodynamique). A la place, elle est désormais qualifiée de TOC. Il faut être toqué pour que ce tic devienne toc ! Quel manque de tact ! Selon certains psychanalystes, ce tic-tac (trouble alimentaire compulsif) vaut maux d’une calorie de pensée profonde, mais depuis quand la mode (du TOC), qui a la côte, est-elle au service de l’intelligence?… Adorée des médias. (9)


Chantal Cazzadori
Psychanalyste en Libéral à Amiens
Membre de l’association
Analyse Freudienne de Paris
Conférence donnée à Amiens le 5/12/16
Salle Dewailly

(1) Alain Vanier, son article chez Cairn : névrose obsessionnelle, névrose idéale, p.2
(2) La Névrose obsessionnelle – lire sur le site Chantal Cazzadori, rubrique : cours et formation la Névrose Obsessionnelle, www.chantalcazzadori.com
(3) Alain Vanier, Cairn, son article : névrose obsessionnelle, névrose idéale p. 5
(4) Voir dictionnaire de la psychanalyse, Fayard, Elisabeth Roudinesco p.733
(5) Dictionnaire de la Psychanalyse, paru chez Fayard, Elisabeth Roudinesco p.735
(6) Dictionnaire de la Psychanalyse, paru chez Larousse, direction Roland Chemama p.182
(7) J. Lacan, Télévision, Paris, Le Seuil, 1974, p.17
(8) Philippe Woloszko , séminaire à lire en annexe. Entre Hystérie et Obsession Metz 12/05/16.
(9) Le Petit Freud illustré, Damien Aupetit & Jean-Jacques Ritz – Les éditions de l’Opportun-2011

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